vendredi 30 décembre 2011

► INCENDIES (2010)

Écrit et réalisé par Denis Villeneuve, d’après l’œuvre de Wajdi Mouawad. 

 


 Tant que les braises...


C’est à un jeu de piste des origines que nous convie le film, à travers ses deux personnages principaux qui vont devoir remonter le fil du temps pour pouvoir vivre leur futur. Car leur présent vient d’être à jamais bouleversé : après le décès de leur mère, Nawal, les jumeaux Simon et Jeanne Marwal apprennent par le testament de cette dernière qu’ils ont un frère et que leur père est vivant. A eux de les retrouver et de leur remettre une lettre, à chacun. Alors seulement la vérité sur le passé familial sera révélée. Insolite mission dans un contexte de deuil. 

Il y a d’emblée opposition entre le frère, réfractaire et la sœur, volontaire, tout comme il va y avoir opposition entre deux mondes, l’Occident et le Moyen-Orient. La gémellité n’est pas seulement celle des êtres, elle est ainsi également celle de destins parallèles éloignés par le temps et l’espace et qui pourtant vont s’entrechoquer violement pour former une unité. La structure  du film n’est pas sans rappeler celle des Amants du Cercle Polaire (Medem, 1998) où l’on retrouve le principe du titrage des séquences et du point de vue des personnages au travers deux destins liés et déliés. En ce qui concerne Incendies, les jumeaux vont littéralement  marcher dans les pas de leur mère. Vivre le passé pour comprendre le présent, comme cette scène où le bus, dans lequel se trouve Jeanne, serpente sur une route montagneuse, écho d’une traversée similaire effectuée par sa mère des années auparavant. Il va lui falloir aller à l’inverse du temps, comme sa mère allait à contresens, au sens propre (voir le croisement avec les réfugiés sur le pont) et au sens figuré (refusant ce qu’on lui impose). 

C’est donc Jeanne qui la première se lance dans l’expédition, là-bas, au Moyen-Orient, elle qui vient du Canada, ignore tout du passé de sa mère sur ces terres qu’elle découvre. La quête familiale prend la forme d’une investigation avec ses indices (lettres, registres, photo...) et ses informateurs (voisins, administration, chef de clan...).Ce parcours initiatique, rythmé par les analepses relatives au passé de la mère, captive le spectateur en le plongeant dans un dédale à la fois émouvant et éprouvant. Car il s’agit bien d’une épreuve, voulue par la mère pour ses enfants et qui devient également la nôtre, car c’est un film dur mais qui passionne tout autant qu’il dérange. A l’instar de la scène inaugurale, hypnotique et anxiogène, où, au son d’une pop aérienne occidentale, des enfants en haillons se font raser les  cheveux par des hommes armés. L’image est d’autant plus brutale car amenée par un trompe l’œil. 

En effet, la séquence commence par un plan de paysage semi désertique, paisible, au soleil, avant qu’un mouvement arrière de la caméra ne nous révèle que nous sommes déjà à l’intérieur d’un bâtiment. Le cadre se double et l’illusion se révèle amère. On se souvient que le destin du jeune Charles dans Citizen Kane (Welles, 1941) était scellé dans une mise en scène similaire au début du film (l’enfant jouant à l’extérieur, la mère derrière la fenêtre). Cette promesse de liberté, d’un ailleurs tranquille, est donc caduque. Les adultes ont déjà décidé pour les enfants, on leur ôte leurs cheveux comme on leur ôte leur enfance. Leur avenir, c’est la guerre. Un de ces enfants focalise l’intérêt, son regard sombre nous fixe tandis que la caméra s’approche, comme pour tenter de sonder cette âme grise. On ignore pour l’heure de qui il s’agit mais pour reprendre l’allusion à la démarche mathématique qui est faite dans le film, on dira que la caméra pointe l’alpha et l’oméga, du commencement naîtra le dénouement. Les coups d’avance du récit, à l’image de ces yeux qui nous dévisagent et donc nous interpellent, vont se poursuivre tout au long du film. 

L’ironie dramatique va ainsi, outre renforcer notre implication dans la quête, nous amener à faire des liens et à comprendre quelques instants avant les personnages ce qui va leur être révélé. Comme cela était le cas dans le film Dans ses yeux (Campanella, 2009) avec  par exemple le remarquable plan dans les gradins du stade où les deux amis s’éloignent du suspect qu’ils cherchent, en amorce au premier plan, alors que la caméra reste fixée sur lui. Désignation filmique.  Tout aussi passionnant dans le film qui nous occupe mais terrible également. Car le poids des révélations nous écrase le cœur et décuple l’empathie que nous avions pour les personnages et on redoute l’instant où la révélation leur sera faite. Toujours habile, la mise en scène prend le parti pris d’une certaine sobriété dans les réactions des enfants, les chocs sont tels qu’ils sont de toute façon indicibles. 

La prostration sera le symptôme qui frappera la mère, le silence sera celui qui traduira la stupéfaction quand les jumeaux apprendront les circonstances de leur naissance. La violence de cet instant sera différée à la scène suivante où on les verra nager avec force et éclat avant l’apaisement. C’est dans un second temps que Simon se joindra à la quête pour y jouer à son tour un rôle majeur, chacun devra faire son chemin, rassembler les pièces d’un puzzle tragique, réunir un passé et un présent, lier deux cultures et deux histoires. Et ce n’est qu’au terme du parcours que les protagonistes peuvent espérer trouver une certaine paix. Et le titre alors de s’inscrire sur l’image finale, en lettres rouges, ce rouge qui a ponctué le film, étrange mélange liant vie et mort, naissance et descendance. Le paysage n’est plus le même, la terre n’est pas la même mais la liberté a été acquise, dans la douleur. Aux enfants d’étreindre ce qu’il fallait éteindre.                 


Romain Faisant, écrit en Mai 2011.

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