vendredi 30 décembre 2011

► THE SOCIAL NETWORK (2010)

Réalisé par David Fincher ; écrit par Aaron Sorkin, d’après le roman de Ben Mezrich.


...La blessure narcissique 

Comme pour le concept psychanalytique du narcissisme, l’anti-héros de Fincher a un attachement exclusif à lui –même. A la marge dès le début, Zuckerberg se nourrit des intuitions des autres pour les transformer en quelque chose de plus grand, de plus fort, d’incontournable. Il impose et s’impose sans en avoir l’air. Mais cela va plus loin, sa création virtuelle, son Facebook, personne ne doit y toucher, personne ne doit partager cela avec lui puisque le site Internet est à son image. Tout ne doit renvoyer qu’à lui, le nom du site ne signifie au final rien d’autre qu’une apostrophe de son créateur à un monde qui le rejette : « regardez-moi ! »

Comme le personnage de la mythologie, Narcisse, Zuckerberg s’entoure mais s’isole, il sera de plus en plus seul, obsédé par son site et donc son image, au sens de son statut. Car comme Narcisse, le personnage solitaire de Fincher voit sa vie bouleversée par une scène primitive, fondatrice d’un trauma qui n’aura alors de cesse de constituer le moteur d’une existence à jamais transformée. Narcisse, prenant conscience de sa beauté, mourra pour elle, Zuckerberg, prenant conscience de sa supériorité, ne va vivre que pour elle. Il n’est cependant pas question dans le film d’un narcissisme lié à la beauté, au contraire, le personnage du nerd est constamment renvoyé à ce qu’il n’est pas (beau, à travers les personnages des jumeaux qui eux en sont le stéréotype) et à ce qu’il n’a pas (ses entrées dans les clubs étudiants) ; mais plutôt à un ego source de tous les maux. 

C’est parce qu’il est blessé dans son amour propre que Zuckerberg va déclencher ce qui lui ouvrira un empire. Scène inaugurale, dans les deux sens du terme : attablés face à face à l’ouverture du film, Zuckerberg et sa petite amie, Erica, sont réunis un bref instant dans le cadre, en plan d’ensemble. Installation illusoire rapidement cassée par une longue série de champ-contrechamp qui consomme la rupture en latence. La réunion dans le cadre est impossible comme la réconciliation entre les deux personnages. La distance du champ-contrechamp sera alors la règle dans une relation s’étiolant jusqu’au virtuel (dernier plan). Elle a donc rompu, choquée par le mépris de Zuckerberg, lui outré par ce qu’il estime être de la condescendance lorsqu’elle évoque l’accessibilité difficile des fratries du campus. Blessé  dans son estime, sa rage se répandra alors sur le net, acte fondateur. 

Mais plus il avance, plus il creuse la marge qui le sépare d’un monde de relations humaines pour s’enfermer dans celui du virtuel, à l’abri mais isolé. Le film travaille d’ailleurs le motif de la vitre, à la fois transparente et ouverte vers le vivant, à la fois obstacle et retranchement. A l’instar du fameux algorithme, nécessaire au lancement du site primitif, inscrit sur la vitre de sa chambre d’étudiant, comme le marquage de ces ambivalences. Le fil rouge est donc bien cette scène de rupture liminaire (d’une durée de 5 minutes, ce qui scande son importance) qui lance Zuckerberg à l’assaut d’une reconquête : celle d’une reconnaissance de ses capacités, lui qui n’avait sa place nulle part, il est désormais partout. Un second rejet d’Erica le poussera à mettre en œuvre l’extension de son site, toujours plus grand, toujours plus fort. 

Sa création virtuelle est née de la frustration, il a ainsi érigé en système sa blessure inaugurale : chacun contemple désormais ses capacités à travers le monde. Mais le dernier plan montre à quel point cette victoire est bien amère : Zuckerberg, sur le profil d’Erica, demande à faire partie de ses amis, et il actualise la page, encore et encore, dans l’attente d’une improbable réponse. De nouveau ramené à la quête initiale et non satisfaite : être reconnu par celle qui l’a blessé. Champ-contrechamp entre l’ordinateur et Zuckerberg, Narcisse, seul face à sa propre image... 



Romain Faisant, écrit en Février 2011

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