samedi 31 mars 2012

► MELANCHOLIA (2011)


Écrit et réalisé par Lars Von Tier



...La mariée était triste

Tout commence par un ballet artistique, onirique et esthétique où des images très travaillées (inspirées du travail photographique de Gregory Crewdson), en extrême ralenti, sur de la musique classique (Wagner), nous montrent divers éléments clés et symboliques qui vont parsemer le film. On n’est pas loi du surréalisme à la Magritte et des toiles de Dali pour les allégories. Apparaît ainsi, entre autres, le cheval qui se couche dans un élégant mouvement, Claire et son fils dans les bras s’enfonçant dans le sol, Justine en robe de mariée, belle au bois dormant entravée de racines et enfin, fin du prologue comme fin du film : la collision entre la Terre et la planète Melancholia. Magnifier pour mieux détruire. Et l’attente de cet impact, comme l'annonce l'imposant cadran solaire du prologue,sera le fil rouge : réuni à l’occasion d’un mariage, un groupe d’êtres humains va vivre ses derniers jours. Nous sommes loin de l’ambiance de nombreux films traitant de la fin du monde puisque, de façon ironique, on célèbre la joie et la bonne humeur. En apparence, car les cœurs sont aussi sombres que le destin qui s’annonce. On se rassure comme on peut : les scientifiques disent que la planète sera épargnée mais les craintes subsistent chez les personnages.

La dualité est au cœur du film et aux deux planètes répondent le caractère opposé des deux sœurs. Claire a organisé la réception, rigoureuse et sérieuse, elle oscille entre amour et haine envers sa sœur. Il faut dire que Justine, la jeune mariée, est une âme mélancolique, plus que du spleen, cela est même pathologique. Elle passe d’un état à l’autre à la grande incompréhension de son entourage. On ne la comprend pas, elle ne se comprend pas. Organisation duelle du film également : il est scindé en deux parties : la réception du mariage et l’arrivée de Melancholia. « Sois heureuse ! » assène-t-on à Justine mais cette dernière n’est pas sur la même route que les autres, ses chemins de traverse sont multiples. Déjà, tout avait commencé par un problème incongru : l’immense limousine des mariés qui n’arrivait pas à emprunter un chemin de terre menant au domaine. Rien ne sera plus conforme à l’idée que l’on se fait d’un mariage. La déconstruction est en marche avec, comme déjà souligné, sa dose d'ironie.

Débute ainsi une lente déliquescence entre fuites répétées et actions impulsives, sous la voute céleste, là d’où vient la menace. Justine étouffe dans ce tableau parfait, figée comme le sont ces pages de livres d’art dans le bureau, exposés aux regards et qu’elle remanie fébrilement. Changer l’ordre des choses. Mais il faut faire comme si, alors par bribes, Justine s’amuse, sourit, essaye, prisonnière de son rôle de mariée dont elle doit porter le symbole vestimentaire en permanence. L’instabilité de Justine, l’oppression des convenances et la nervosité qui règne se traduisent formellement par la façon de filmer puisque que la caméra est mouvante en permanence, le recadrage, le zoom et même des mises en points et des balayages intempestifs ponctuent la mise en scène de la soirée. Nous sommes sollicités et maintenu sous tension tout comme Justine, nerveuse, qui ne veut plus être là et qui pourtant doit y rester. 

Sorte de contre-champ de la première, la seconde partie abandonne cette réalisation systématique et se concentre sur Claire en même temps qu’elle resserre le cercle familial. A la foule du début à succéder le noyau dur : les deux sœurs, le mari de Claire et leur fils. Quand l’inéluctable s’impose, c’est une autre face des femmes qui va se faire jour. Justine prend le dessus avec une certaine froideur tandis que Claire, fragilisée et désemparée, perd ses repères, se raccroche à la matérialité lors d’une fuite vaine (la voiture de golf). Son mari a été saisi de lâcheté, se sachant condamné, il préfère se suicider, seul. Déroute des âmes. C’est aussi au détour d’un abandon que les deux personnages perdues de Last night (McKellar, 1998) faisaient fi du chaos de la fin du monde pour s’ouvrir à l’amour, ne fusse que pour une seconde, une seconde d’éternité. Mais la vision poétique, à l'instar des images sublimées du début, recèlent toujours un arrière goût rance chez notre réalisateur et c'est une autre vision qu'il instaure.

Ainsi, les deux sœurs unissent leurs voies, bien que toujours en contradiction, Justine ayant sévèrement dénigré le tableau idyllique (du vin et de la musique classique, cette même musique qu'utilise précisément le réalisateur au début) qu'envisage d'organiser Claire pour leurs derniers instants. Justine, qui semble avoir trouvé de nouveaux repères dans l’approche de la fin, fataliste mais sereine, amène sa sœur vers la mort lorsque dans un premier temps, cette dernière n’avait de cesse de la tirer vers la vie. Il n’y a plus d’ailleurs, seuls demeurent le ici et le maintenant. Le vrai mariage est là : dans l’union et la communion face à la fin, mais contraint et forcé, celui-ci a-t-il encore un sens. Chacune aura éprouvé la difficulté de convertir l’autre, d’accepter un état de fait. Tour à tour, elles auront éprouvé la même chose. Mais que reste-t-il finalement de ces petits conflits et de ces acceptations quand vient l'assourdissante fin ? Le réalisateur, fidèle à lui-même, ne prend-t-il pas un malin plaisir à tout réduire en cendre après s'être délecté du petit théâtre de l'humanité ? A l'échelle stellaire, les soubresauts humains sont bien dérisoires...

Romain Faisant, écrit le 23/03/12 

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