mardi 5 juin 2012

► DE ROUILLE ET D'OS (2012)

Réalisé par Jacques Audiard; écrit par Jacques Audiard et Thomas Bidegain d'après l’œuvre de Craig Davidson.


...Les coups du sort


Le nouveau film de Jacques Audiard (en compétition à Cannes), toujours un événement, confronte avec force et fracas un homme et une femme qui, chacun, ont un combat à mener. Au sens figuré pour elle qui se retrouve en fauteuil roulant, au sens propre pour lui qui se lance dans des combats à mains nues. Dur et marquant, le film de Jacques Audiard, adaptation du roman de Craig Davidson, nous heurte sans complaisance et avec puissance. 

De rouille et d'os, c'est l'histoire d'une rencontre, celle de Stéphanie (Marion Cotillard, épatante), belle jeune femme qui aime plaire et d'Ali (Mathias Schoenaerts, qui en impose) homme rustre et brutal mais père aimant, même s'il ne sait pas toujours y faire. Il débarque chez sa sœur à Antibes avec son fils de cinq ans, Sam. Vivotant, il finit par devenir videur dans une boîte, c'est là qu'il rencontre Stéphanie, lors d'une bagarre. Premier face à face qui inaugure ceux à venir: violence et entraide sont déjà les deux maîtres mots. Attentionné malgré ses airs de brute, Ali raccompagne celle à qui il est désormais lié, un plan sur ses jambes découvertes tachées de sang annonce la meurtrissure.
 
En effet, alors que chacun a repris sa vie, on suit le quotidien de Stéphanie, dresseuse d'orques dans un parc d'attraction et le drame qui la frappe. Un accident lors du spectacle, un choc violent avec un des mammifères la condamne à l'amputation des deux jambes. Comme les photos d'elle que l'on a vues dans des cadres, sa vie n'est plus dorénavant qu'un souvenir. A la musique tonitruante et aux chorégraphies du spectacle succède la froideur d'une chambre d'hôpital, ses tuyaux et ses fils, le gris de l'acier du lit. Éprouvante scène que celle de la découverte de la mutilation, Stéphanie est réduite à l'état d'animal rampant.
 
Métaphore animale qui n'est pas anodine puisque à l'opposé s'exprime le corps puissant et fonctionnel d'Ali qui devient une bête de combat, enragée. Ce corps brut et musculeux, c'était déjà celui de Bullhead (Michael R. Roskam, 2011). Arrivé sans but chez sa sœur, il semble trouver là un accomplissement, ce qui n'est pas sans déplaire à Stéphanie qui a repris contact avec cette rencontre du passé, avec cette vie d'avant. Ne faisant preuve d'aucune commisération, Ali ne semble pas prendre en compte le handicap de son amie, il la considère comme les autres. Inenvisageable au départ pour elle, sous l'impulsion de ce dernier, la voilà qui met le nez dehors et qui, emmenée sur son dos, va se baigner. Là où elle voit des obstacles, il ne voit que la normalité d'une relation amicale. 

Dans l'eau Stéphanie retrouve sa liberté, dans les combats à mains nus Ali se défoule. Un équilibre semble s'instaurer et même sur le plan intime, où lors d'une amusante scène, Ali propose à Stéphanie de raviver ses ardeurs, en bon copain. Elle redevient femme, dans sa chair et dans son âme, comme dans cette scène intimiste où le retrait des bas de protection qu'elle porte devient un geste sensuel. C'est le début d'une réappropriation de jambes devenues étrangères. Sans oser se l'avouer, chacun galvanise ainsi l'autre, comme la scène du combat difficile où la seule vue de Stéphanie, de façon métonymique avec ses prothèses, redonne à Ali le courage de vaincre. 

Mais le caractère assez bestial et indépendant de ce dernier ne va pas sans poser de problème, quant à Stéphanie, le regard des autres peut s'avérer blessant et quelle place donner à Sam dans ce nouveau cap qui s'instaure et où les choses demeurent bien instables. Fidèle à son cinéma, Jacques Audiard réussit à imposer un nouveau choc filmique à travers des destins poignants, entre ombre et lumière. Combatifs, ces personnages gardent une trace dans leur chair, l'empreinte des blessures de la vie tout autant que l'ascendant pris sur elle. 


Romain Faisant, écrit le 18/05/12 et également mis en une dans la rubrique Express Yourself sur le site de l'express.fr.


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