jeudi 28 juin 2012

► QUAND SOUFFLE LE VENT (1986)

Réalisé par Jimmy T. Murakami; écrit par Raymond Briggs d'après sa bande dessinée.


 ...L'agonie à l'unisson

Jamais sorti en France bien qu’il ait reçu le Grand prix du long-métrage au Festival international du film d'animation d'Annecy en 1987, le film d’animation de Jimmy T. Murakami, adapté de la bande dessiné de Raymond Briggs, peut enfin déployer sa belle mais tragique histoire. Réalisé en 1986, le film situe son intrigue en pleine guerre froide et même si cela n’est pas explicite, on peut en déduire que la période concernée est celle de la course aux armements à la fin des années 70. En effet, la terreur règne et un couple de charmants retraités vont vivre une attaque nucléaire, sans prendre la mesure de ce qui vient de se passer…

Formellement très différent des films d’animations d’aujourd’hui, au-delà de la technique d’animation, le film de Murakami se distingue par le mélange qu’il fait d’images réelles et de celles en dessin. Tout commence ainsi par des images d’archives d’actualités en noir et blanc montrant une évacuation de civils. Le ciel, qui a une place importante, apparaît également sous sa forme réel avec parfois une image retravaillée. De même, l’intérieur de la maison nous est présenté en mêlant des prises de vues de miniatures construites comme pour un film traditionnel aux dessins des personnages et des décors. La frontière semble ainsi sans cesse osciller entre deux univers, la fiction animée et le réel filmé, étrange sensation comme une piqûre de rappel, comme pour nous maintenir en alerte et ne pas se laisser complétement adoucir par la forme du dessin animé. La guerre est là, la menace est concrète et le contraste des formes filmique scande que la fable à tout du réel. Des images symboliques de la menace rythment d’ailleurs le récit. Dans des tons monochromes surgissent successivement un sous-marin, un missile et un bombardier qui ne rendent que plus pathétique le douillet quotidien du couple.

Ce qui saisit de surcroit, c’est donc la douce naïveté qui anime Jim et Hilda, personnages tendres et attachants qui attendent la menace sans peur, sans énervement, patiemment. La situation est assez surréaliste : Jim construit un abri antiatomique de fortune (avec 3 planches posées contre un mur pour former une petite cabane) tandis qu’Hilda vaque avec bonhommie à ses tâches ménagères, trouvant que son mari en fait trop. On ne sait pas dans un premier temps qui est le plus déconnecté, celui qui s’attend au pire ou celle qui préfère rêver. Pendant que Jim s’active, Hilda s’évade le temps de souffler sur un pissenlit et de déclencher une séquence onirique où règnent la paix et l’amour. Scène brutalement interrompue par le son du marteau de Jim qui cloue ses planches. Le principe de réalité s’impose, deux approches s’opposent tout en concordant. En effet, tous les deux font acte d’ostalgie avant l’heure, appliquée à la seconde guerre mondiale : le bon temps ! s’exclament-ils. Et de regretter cette période où, enfant, il fallait se cacher. Ils ne sont pas nostalgiques de l’horreur, bien sûr, mais du mode de vie de l’époque.

L’inéluctable surgit brutalement : à peine la radio annonce-t-elle l’attaque que l’explosion surgit, l’abri va servir finalement, quant à son utilité…Un oiseau désorienté avait annoncé le pire, quand tous s’envolent c’est qu’il est déjà trop tard. Le huis clos devient anxiogène, les couleurs ont cédé la place au terne, au noir, au ravage. Du paysage bucolique qu’offrait la fenêtre du salon, il ne reste plus que la vue d’arbres calcinés. La bande son a également changé : le souffle du vent devient la marque sonore du désolé, on entend même le hurlement d’un loup tandis que des cloches sonnent le glas. Rien n’est plus sauf la logorrhée du couple qui continuent à discourir sur les choses du quotidien, ignorant superbement le chaos, constatant que le laitier n’est pas passé mais que c’est normal vu les circonstances…

Dire, c’est vivre. Et ne pas prendre en compte l’horreur les maintient en vie malgré la décrépitude physique qui s’accentue (la verticalité des corps laisse sa place, dans la douleur, à l’horizontalité forcée), notre tendresse envers cette lente agonie n’en n’est que plus forte. Ils peuvent bien disparaître dans des sacs dans une mimèsis des Amants de Magritte, leurs voix continuent de parler, de nous parler. L’élégie finale, belle et bouleversante nous ramène aux nuages, laissant espérer que tout ceci ne sera qu’un mirage de passage et que l’Humain tiendra compte des ravages du passé pour que n’existe pas ce funeste présage…


Romain Faisant, 27/06/12

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