vendredi 8 mars 2013

► A LA MERVEILLE (2013)

Écrit et réalisé par Terrence Malick


...Les sens de l'existence

Le cinéma de Terrence Malick a cela de fascinant que sous une constance formelle et sa récurrence de motifs associés, le voyage, physique et intérieur, que font les personnages, conserve ce caractère enivrant, troublant, unique. Le cinéaste au style bien spécifique, inauguré dès son premier film (La Ballade sauvage, 1973), a toujours excellé dans l’art de marier l’homme et la nature, ses personnages n’évoluent pas dans leur environnement, ils évoluent avec lui.  Cinéaste du détail et de l’intime, du vivant au sens large, Terrence Malick nous revient de façon très inhabituelle, deux ans à peine après The Tree of Life (2011). En effet, il nous avait habitués à prendre son temps, et nous patientions bien volontiers. Quarante ans de carrière et six films. Mais cette proximité avec sa précédente œuvre n’est pas seulement temporelle. A la merveille est dans cette continuité narrative faite d’instants, d’étapes, d’ellipses et de fragments mémoriels. 


Le film, comme son prédécesseur, construit plus que jamais son récit au travers cette mosaïque d’émotions et de sensations qui caractérise l’ensemble de son œuvre. La parole s’efface de plus en plus au profit du ressenti du moment, de l’expression d’un visage, d’une caresse. L’Amour est toujours au centre de ses préoccupations, ce sentiment si simple et si compliqué, si merveilleux et si destructeur. Le cinéaste n’a de cesse de le questionner depuis ses débuts à travers les voix off de ses personnages tour à tour tournés vers eux-mêmes, la nature, Dieu. Et ces pensées sont cette fois-ci celles d’un couple qui se délite (Neil, Ben Affleck et Marina, Olga Kurylenko) ainsi que celles d’un prêtre (Javier Barden). Tous questionnent l’âme et le cœur, tous sont en proie au doute. 


L’histoire en elle-même reste ordinaire au sens où la force vient de la façon dont elle va nous être racontée ou plutôt montrée afin d’en faire quelque chose d’extra-ordinaire qui, comme chacun des films précédents, tend vers le spirituel pour devenir une branche d’un arbre filmique dont le tronc est commun à toutes les autres réalisations de Terrence Malick. On ne peut en effet isoler A la merveille du reste de sa filmographie tant le jeu de miroir est puissant. C’est ainsi à notre propre mémoire qu’il fait également appel, comme les personnages qui oscillent entre présent et passé, à l’instar de l’image récurrente de la femme à la balançoire que l’on retrouve ici mais aussi dans The Tree of Life ou encore La Ligne rouge (1998). Les films de Terrence Malick sont comme un terreau où éclosent de nouvelles pousses aux racines communes. 


Ainsi, le procédé de la voix off qui nous immisce dans l’intimité d’une âme s’inaugurait dès le début de La Ballade sauvage. L’alternance de scènes de vie fugitives et de plans de la nature, faune et flore, est semée sur chaque œuvre. Les bisons du film présent se trouvent déjà  dans Les Moissons du ciel (1978). Le ballet des oiseaux, l’astre lunaire et solaire, les champs dorés, l’eau qui coule, le ciel et ses nuages…Il ne s’agit pas ici de faire une liste superficielle, qui couvre d’ailleurs les quatre Eléments, mais de montrer cette constance de motifs qui ne doivent pas être pris de façon isolée mais à l’aune d’un Tout qui est à la fois réceptacle (les gestes de gratitude et de bonheur envers la Nature de Pocahontas dans Le Nouveau monde (2005) ont des ascendances avec ceux de Marina ici), obstacle (cette pollution souterraine à laquelle s’intéresse Neil, ces collines verdoyantes devenues tombeau des soldats de La Ligne rouge) et miracle quel qu’en soi le sens qu’on lui donne  (la main du prêtre sur les vitraux baignés de soleil, cette goutte d’eau sur le bourgeon que boit Marina et qui perlait déjà sur les blés des Moissons du ciel).



Le réalisateur nous retransmet ainsi ce rapport particulier, car total, de ses personnages au monde du sensible. Et cette approche passe également par un aspect fondamental du cinéma de Terrence Malick qui est cet attrait du toucher. Le tactile fonde le rapport à l’autre et exprime tellement plus qu’un mot. Le plan d’une main sur une épaule est tout aussi essentiel que récurent. Il est ce geste, à la fois simple et bouleversant, qui pardonne ou qui demande pardon (les deux frères dans The Tree of life) tout comme il est affection et passion. Neil et Marina sont souvent montrés dans ces échanges qui en deviennent sensuels où, peau à peau, on tente d’appréhender l’autre comme on découvre une nouvelle terre (Le Nouveau monde est éloquent à ce propos). Mais la sérénité des choses est souvent remise en question (la maison du couple et ses pièces vides traduisent cette difficulté d’installation pérenne), car la vie, comme la nature, peut être cruelle (les disputes de Neil et Marina, les errances du prête chez les miséreux). Et cet état de fait est comme toujours chez le cinéaste baigné par une atmosphère sonore qui là aussi joue de l’alternance entre les sons de la faune et la flore (oiseaux, vent, rivière) et de la musique classique, souvent céleste. Cela confère à l’ensemble sa tonalité unique, un lyrisme toujours entre orage et éclaircies.  
  

Le vent de la vie souffle sur les échos des jours des personnages comme sur les saisons qui passent. La nature a ses cycles, comme les humains ont leurs étapes. Ainsi, les doutes se confirment ou s’infirment pour nos protagonistes, qui, d’une façon ou d’une autre reprendront la route. Car, à l’instar de ce soleil dont les rayons dardent sans cesse les feuillages sous lesquels ils déambulent, tout continue, tout avance malgré tout, tout resplendira, ici ou là-bas. On comprend mieux alors pourquoi cela commence dans un train qui file à travers le paysage et pourquoi, à la toute fin du générique, le son off de ce même train revient. Il est tout aussi souvenir qu’avenir. « Je pleure mes ennuis/ Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante/ Si bien qu’en les chantant, souvent je les enchante » (Du Bellay, Les Regrets, 1558).

6 /03/12

Publié et sélectionné par Le Plus du Nouvelobs.com
 

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