vendredi 23 août 2013

► JEUNE ET JOLIE (2013)

Écrit et réalisé par François Ozon


... Belle de Saison

Un an après son étude de mœurs qui nous avait plongés Dans la maison (2012) d’une famille ordinaire, François Ozon poursuit son exploration d’une constante de sa filmographie, à savoir le désir. Il se focalise cette fois-ci sur le personnage d’Isabelle, 17 ans à peine, qui a la particularité, sous des dehors de sage image, de se prostituer. Non par besoin ou contrainte, juste parce qu’elle en a envie. Mais quand on n’est pas encore sorti de l’adolescence et qu’on se lance dans ce genre de double vie atypique, est-t-on vraiment conscient ? Et ceux qui dénoncent l’inconscience sont-ils si irréprochables ? Hétéroclite, le nouveau film de François Ozon scrute les affres d’un passage, celui des saisons d’une vie qui s’enfuit, jouit et s’établit.


Le titre est une référence explicite au magazine pour jeunes filles en fleur que fût Jeune et Jolie pendant de longues années et qui s’est arrêté en 2010. Parce que les temps avaient changé ? Parce que les jeunes filles d’hier ne sont plus celle d’aujourd’hui ? Le film joue sur cette temporalité à plusieurs niveaux à travers le rapport mère/fille, fille/jeune frère, fille/client âgé. Isabelle, qui nous rappelle une autre jeune fille à un tournant, la Suzanne de Pialat dans A nos amours (1983),  focalise les regards (sa première apparition est d’ailleurs vue à travers des jumelles ) de plusieurs générations (« C’est normal qu’elle ait des propositions, jolie comme elle est » ose même son beau-père) tandis qu’un décorum volontairement appuyé entretien l’image d’Épinal d’un romantisme populaire (le papier peint suranné à fleurs, des roses, forcément ; l’amour de vacances, la première fois sur la plage…) qui laisse de marbre sa principale destinataire. Usant des contrastes, Ozon fait rapidement perde ses pétales à la rose puisqu’à l’été succède l’automne et ses chambres d’hôtels, ses clients parfois glauques et méprisants tandis que de sa voix mélancolique François Hardy chante le désenchantement. 


Mais Isabelle (Marine Vacth, éclatante) ne pleure pas l’amour, elle compte ses billets. Le film n’est jamais ce qu’il pourrait être et c’est pourquoi il se distingue. Parfois comique (les gaffes du beau-père, toujours en rapport avec le sexe), parfois tendre jusqu’à la mièvrerie (le baiser au Pont des Arts), soudain tragique, le film oscille volontairement quand son personnage principal, lui, garde son cap. Ce qui déroute les autres qui cherchent l’explication, la clé : « Qu’est-ce que j’ai donc raté » se lamente la mère, à prendre au second degré comme une illustration du cliché qui voudrait qu’un élément extérieur donne forcément la réponse. Eloquente séquence chez le psy qui pointe quant à lui l’absence du père. Ozon comme Isabelle se moque gentiment de schémas préétablis, cette dernière s’amusera d’ailleurs à montrer que chacun à un prix, que tout se vend : une séance chez le psy comme un baby-sitting. Prostituée par hasard (l’homme à la sortie du lycée), elle y va comme on va au travail, sa petite tenue dans son sac (tailleur bleu-marine et chemisier en soie grise, piqué à sa mère), elle qui s’habille plutôt de façon négligée d’habitude. La mise en scène explicite l’abattage des clients, c’est froid, sans passion sauf avec un. Celui qui sera la charnière d’un nouveau seuil de vie.


Car Isabelle a cette beauté et cette part de mystère qui intrigue, comme la Belle de Jour (Buñuel, 1967) que fût Catherine Deneuve et dont on sent ici l’influence. A la bourgeoise bien sous tous rapports qui un jour choisit d’explorer une autre part d’elle-même succède la jeune étudiante  qui pour l’heure n’éprouve rien pour les relations de son âge (elle traverse littéralement la scène de la fête). Ni vulgaire, ni racoleur, ni sulfureux, Jeune et Jolie s’aventure ailleurs, à travers des contrastes forts, dans ce qui est de l’ordre de l’intime absolu. A savoir mettre son corps au service de son propre désir. L’inattendue séquence finale, tendre et apaisée, nous ramène dans la chambre inaugurale, comme le fameux poème de Rimbaud à la structure circulaire récité par des camarades d’Isabelle , qui sait, elle, ce que c’est que de ne pas être sérieux quand on a 17 ans, et qu’après le printemps viendra l’été. Qui ne sera plus tout à fait le même. Un autre passage pour la Belle de Saison. 

Romain Faisant, 21/08/13
    

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