jeudi 22 août 2013

► LES APACHES (2013)

Réalisé par Thierry de Peretti ; écrit par Thierry de Peretti et Benjamin Baroche


... Les amitiés discordantes

Projeté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, le premier long métrage du réalisateur Corse Thierry de Peretti  est de ces films qui font basculer une situation anodine dans une tragédie fulgurante où la violence adolescente, improvisée, amatrice et brouillonne éclate dans une démesure choc. Le réalisateur avait déjà mis en scène une certaine jeunesse sur l’île dans son moyen-métrage Sleepwalkers en 2011. Les Apaches fait quant à lui se succéder en quelque sorte deux parties interdépendantes qui n’ont pas le même poids dramatique. La première installe une situation banale : un groupe d’ados, lors d’une nuit festive dans la piscine d’une villa corse inoccupée, se laisse aller à dérober quelques objets. Sauf que des fusils font partis du lot, sauf qu’en Corse en règle cela entre soi (la police ne s’appelle « que si tu n’as rien à lui demander »), sauf que des ados qui craignent la dénonciation sont prêts à déraper et à jouer avec le feu.


L’effraction de la villa est en latence dès le début avec un conflit extérieur/intérieur puisqu’un des jeunes, Aziz, qui aide son père à l’entretien du jardin, se voit refuser l’accès par ce dernier. La pulsion adolescente (au loin l’orage gronde) qui se veut la réponse à l’interdit de l’adulte ne se fait pas attendre : cette piscine qu’il n’a le droit que de nettoyer, il l’investit nuitamment avec des amis. Il y a là une tribu (ce sur quoi joue le titre polysémique, renvoyant aux Indiens tout comme au sens vieilli du mot désignant un voyou) qui s’amuse : Aziz donc, François-Jo, Hamza, Jo et une amie (tous les acteurs ont ce naturel brut qui imprègne le film). L’instigateur de la baignade nocturne est paradoxalement le plus raisonnable (c’est que son père travaille pour les propriétaires) et c’est par agacement qu’il les laisse s’emparer d’objets. L’aspect naïf de l’acte (dans la bonne humeur) est confirmé par le certain désintérêt des propriétaires au vu de la valeur faible du butin qu’Aziz tente d’ailleurs de rapporter dès le lendemain. 


La règle de l’entre-soi s’illustre donc dans un premier temps par les adultes, amis des propriétaires, qui vont ratisser les lotissements pour débusquer les coupables et faire craquer Aziz qui devient victime d’une chose qu’il a cautionnée par énervement. Eux aussi seront dépités du maigre résultat du vol (« si tu voles, au moins fais le bien ! »). Mais ce sont les jeunes qui prennent en quelque sorte le relais d’une histoire qui aurait pu s’arrêter là, et commence alors une descente vers la paranoïa et la violence qui est la plus intéressante. La cassure est confirmée avec les autres qui n’ont pas la même approche des choses. En particulier François-Jo qui tente de revendre les fusils de collection qu’il n’a pas rendus. Il y a du Bruno Dumont et du Larry Clark dans Les Apaches avec cette loupe braquée sur des ados nonchalants dont on ne soupçonne pas qu’ils puissent se laisser aller à une éruption de déviance et de radicalité.


La peur empoisonne ces esprits juvéniles et la crainte « de finir dans le maquis » va les pousser à une extrémité brutale et choquante. La frappante séquence du long trajet en voiture, à la lueur des réverbères et au son a capella d’un chant corse, a valeur de requiem. La recherche sur la route qui précède est une chasse et l’acte irréparable sera celui d’une bête qu’on abat. Comme ça. La soudaineté de la pulsion dans son horreur. La violence sous-jacente (François-Jo regardant un meurtre sur son téléphone comme on regarde la météo) explose comme se déchire la tribu. Thierry de Peretti joue bien sûr avec une certaine culture corse mais il s’éloigne de ce qu’on a l’habitude de voir pour frapper encore plus fort, là où ça fait mal, sur des adultes en devenir. La très bien pensée séquence finale, qui surprend et interpelle, nous met d’ailleurs, littéralement, les yeux dans les yeux avec l’insouciance d’une jeunesse potentiellement capable, derrière les rires, du pire.

Romain Faisant, 14/08/13

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