mercredi 6 novembre 2013

► SNOWPIERCER (2013)

Réalisé par Bong Joon Ho ; écrit par Bon Jonn Ho et  Kelly Masterson d'après la b.d Le Transperceneige de Benjamin Legrand,  Jean-Marc Rochette et Jacques Lob.


... Wagons-vies

A l’instar de son compatriote Park Chan-wook il y a quelques mois (Stoker), le cinéaste sud-coréen Bong Joon-ho réalise son premier film en langue anglaise adapté d’une bande-dessinée française des années 80. Un mélange hétéroclite pour un rendu qui ne l’est pas moins ! L’idée scénaristique est profondément séduisante : pour échapper à une nouvelle ère glaciaire provoquée par eux-mêmes, des êtres humains se retrouvent condamnés à être les passagers d’un train futuriste lancé à pleine vitesse, seul refuge de leur survie…Le cinéaste ne pouvait qu’être séduit par une trame éminemment cinématographique car formellement attractive. En effet, le huis clos est toujours un parti pris fort mais risqué, Bong Joon-ho ne manque pas sa correspondance et le train qu’il fait entrer dans les salles obscures est une réussite qui nous précipite vers des wagons-vies où chaque porte qui s’ouvre est à la fois signe d’espoir et marqueur de désespoir…


Le cinéma a toujours aimé filmé des trains et ses passagers. Un des premiers films de l’Histoire n’est-t-il pas précisément L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (Les frères Lumières, 1895) ? Et on y trouvait, déjà, l’utilisation de la profondeur de champ qui est particulièrement utilisée dans Snowpiercer. Le décor fait de wagons en enfilade induit bien sûr cette utilisation mais le film lui confère un sens plus profond puisque ce train de survivants n’est autre qu’une Humanité compartimentée dont on a récréé les inégalités. La machine a même son Dieu en la personne de Wilford (Ed Harris), le créateur de la locomotive high-tech, qui organise la vie et la mort au sein de son royaume ferroviaire. Le film est ainsi un trajet intérieur depuis les bas-fonds de la queue du train, cœur de la révolte menée par Curtis (Chris Evans), jusqu’à l’avant, le wagon de tête où demeure Wilford.


La réalisation a conscience de l’aspect très jeu-vidéo de sa construction : chaque wagon a son épreuve et son décor différent qu’il faut franchir pour accéder à l’étape suivante. Et comme dans un jeu de quête, il faut des adjuvants (l’expert en sécurité qui ouvre les portes et sa fille). Autant de niveaux de jeux dont se sert Bong Joon-ho (séquence en lumière infra-rouge et en caméra subjective qui assimile explicitement le spectateur à un joueur) pour mieux en dépasser le cloisonnement. Les scènes de combats, violentes et impressionnantes, s’entendent ainsi plus qu’elles ne se voient. Un travail sonore (coups et os brisés) confère aux scènes leurs réels chocs tandis qu’une accumulation en pagaille de personnages dans le cadre provoque la confusion dans l’effusion. Le montage fiévreux et le déchainement de Curtis donnent à ces scènes d’affrontements une tonalité bestiale, celle d’êtres humains traités en bêtes et qui viennent de sortir de leur cage.


On savait le réalisateur capable de manier le spectaculaire et l’étrange (The Host et son monstre) comme l’intime et le mystère (Mother et sa force de conviction), autant d’atouts qu’il embarque à son bord avec d’incomparables scènes surréalistes où l’humour se fracasse contre la tragédie (le personnage illuminé interprété par Tilda Swinton). Réjouissant mélange des genres qui n’enlève rien à la noirceur du propos qui contraste avec la blancheur des paysages. Car l’allégorie de cette Humanité sur rail nous glace. Plus les portes s’ouvrent, moins les compagnons de route sont nombreux dans ce mythe de Sisyphe où les années successives ont fini par doter ce voyage circulaire de sa propre Histoire. Et son récit le plus déchirant est certainement celui qu’on ne verra pas mais dont la simple évocation nous soulève le cœur. Quand Curtis dévoile frontalement l’horreur des conditions de vie au début de la survie dans la queue du train. Le plus impressionnant est là : celle d’une existence ravagée dont on se demande si du dégout peut renaitre le goût. Le goût d’ouvrir une ultime porte… 

Sélectionnée et publiée par Le Plus du Nouvelobs.com

30/10/13

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