mercredi 20 février 2013

► LINCOLN (2013)

Réalisé par Steven Spielberg; écrit par Tony Kushner, d'après l’œuvre de Doris Kearns Goodwin.


...La silhouette tutélaire

On le sait, l’Amérique aime célébrer ses propres héros, qu’ils soient des figures de fiction ou des personnages historiques. C’est dans cette seconde catégorie que se situe le film de Spielberg dédié à une des grandes figures de la démocratie américaine, Abraham Lincoln, qui se battit avec son camp républicain pour imposer l’abolition de l’esclavage au XIXème siècle. Le film se situe lors du second mandat du Président, en pleine guerre de sécession. Et c’est précisément sur des images dures des combats qu’il s’ouvre. Le bruit, la fureur, la boue, le sang : une avalanche d’images qui pose d’emblée le contexte qui sera celui des décisions à prendre mais qui revêt également une valeur de symbole. Un soldat court au milieu des cadavres, le drapeau américain brandi au-dessus du champ de bataille : l’Histoire de l’Amérique s’est faite dans le sang, depuis les origines. Cette séquence nous renvoie d’ailleurs directement à la fameuse ouverture de Il faut sauver le soldat Ryan(1998). Et l’abolition de l’esclavage, à travers une bataille de mots et de persuasions, ne sera pas exempte de sang versé. La thématique prend d'ailleurs en quelque sorte la suite de celle d’un de ses précédents films : Amistad (1997) qui se déroulait une vingtaine d'années avant les événements relatés dans Lincoln. 

 
Le contexte est lourd, et si on ne verra volontairement rien de ces combats, ils seront toujours présents en arrière-plan et même intimement liés au Président puisqu’un de ses fils est déjà mort au combat et qu’un second veut, envers et contre-tout, s’engager à son tour. Cette perméabilité entre l’extérieur public, sa guerre et ses malheurs, et l’intériorité intime, la vie de famille et de couple de Lincoln sera une des constantes du film. Derrière le poids historique de ce qui se joue, Spielberg souhaite aussi montrer le mari, le père. Chaque décision bouleverse d’une façon ou d’une autre un équilibre familial qui est celui de beaucoup de familles d’alors, prises dans la tourmente. On le voit avec ces nombreux visiteurs qui viennent avec leurs lettres de doléances. Père en privé, l’accent est souvent mis sur sa relation avec son plus jeune fils, il est aussi père de la nation, commander in chief et à ce titre, il incarne un pouvoir, une instance, un pays.


Et ce n’est pas un hasard s’il nous apparait de dos pour la première fois, le cadrage privilégiant la parole de deux soldats noirs, car il est avant tout à l’écoute. Ce qui sera une qualité décisive dans son combat puisqu’il faut d’abord comprendre l’autre pour mieux le persuader de changer d’avis. De même, il lui faudra savoir écouter les demandes pour mieux négocier et mettre en pratique le système du donnant/ donnant qui va lui permettre de rallier à sa cause des opposants. Et puis ce dos, c’est celui d’une stature bien particulière, celle d’un homme à la taille impressionnante (il faisait 1m93), aux allures de pantin désarticulé, une silhouette en jaquette et haut de forme qui forge un personnage. La statue qui lui sera érigée en hommage au Lincoln Memorial en 1922 aura elle aussi une taille impressionnante. C’est d’ailleurs devant cette représentation de celui qui fut son modèle en politique que Barack Obama fit un discours pour célébrer son investiture le 18 janvier 2009. Spielberg n’hésite d’ailleurs pas à jouer avec cette allure jusqu’à ne le faire apparaître qu’au travers d’une ombre métonymique (au début quand il vient retrouver son fils au coin du feu puis lors de sa visite aux blessés de guerre). Cet homme dégingandé en impose et la réalisation tire profit de ce physique en le mettant souvent en scène dans des plans larges où sa seule présence habite l’espace. Ainsi, un des derniers plans où on le voit s’éloigner seul dans le vestibule, de dos, est empreint d’émotion, car cette silhouette fatiguée mais qui tient encore debout, c’est celle d’un pays.


Lincoln, figure centrale rendue marquante par l’interprétation de Daniel Day-Lewis, n’en n’est pas moins toujours entouré, c’est un chef d’équipe qui avance vers la victoire grâce à ses collaborateurs qui vont donner de leur temps et de leur personne pour convaincre un à un les sénateurs dont ils ont besoin. Outre la guerre qui a lieu en arrière-plan, c’est surtout à une bataille de mots et de tractations à laquelle nous assistons. Et la temporalité des événements est un suspense redoutable. En effet, et c’est là un des enjeux dramatiques marquant du film : si Lincoln accepte la paix avec le Sud avant que soit adopté la résolution, il ne pourra faire voter l’abolition. D’où ce cornélien dilemme : sacrifier des troupes pour rendre libre des milliers d’autres ou épargner la vie des troupes mais condamner les esclaves à le rester. La séquence du basculement, du choix, brille par sa simplicité. Cette fois-ci seul à décider dans cette grande salle qu’on a connue pleine, face aux deux jeunes opérateurs du télégraphe, la nouvelle génération, l’ancien convoque les mathématiques et l’éternité de son théorème sur l’égalité. Les cliquetis du télégraphe qui se propagent sont ceux d’une nouvelle ère. 


Les compromis sont faits dans la douleur mais ils sont tout à l’honneur de ceux qui osent les faire. Le personnage du politicien Thaddeus Stevens (Tommy Lee Jones), combattant de la première heure pour faire tomber la distinction entre blancs et noirs, est particulièrement bien dépeint et illustre le côté positif d’un nécessaire compromis historique. Lors du vote solennel, c’est sur le père de famille que s’attarde Spielberg, avec une référence ô combien symbolique à un autre de ses propres films qui fait suite en quelque sorte à celui-ci, La couleur pourpre (1986), qui se déroule une soixantaine d'années après le vote de la loi abolitionniste (scène de Lincoln sur le fauteuil à bascule avec son fils).


Un retour final aux horreurs de la guerre nous ramène à la scène d’ouverture, et à une certaine amertume, la boucle est bouclée, le sang a coulé pour la victoire d’un idéal démocratique et égalitaire, pour la liberté de tous. L'éloquent discours de clôture fait écho à celui, bien plus bref, du début du film pour le lever de drapeau devant un petit comité. A présent, la parole est assurée et consistante, la foule, mixte, est nombreuse. Le dernier plan resserré fait disparaitre la foule du premier rang pour mieux nous y substituer : c’est aux spectateurs d’aujourd’hui que s’adresse l’orateur d’hier.   

18/02/12

Sélectionné par le Plus du Nouvelobs.com

► ZERO DARK THIRTY (2013)

Réalisé par Kathryn Bigelow; écrit par Mark Boal.


...Au bout de la patience

Pari risqué que de faire un film sur un sujet sensible, la traque silencieuse de Ben Laden. On nous a tout dit ou presque, tout montré et les images de ses attentats défilent encore et encore jusqu’à hanter la mémoire collective.  La réalisatrice Kathryn Bigelow pose d’emblée sa marque et règle la question en faisant commencer son film par un écran noir : seules vont s’entendre, se mélanger, s’entrechoquer les voix des victimes du World Trade Center à travers les appels téléphoniques passés lors de cette funeste matinée. Cette sobre et intelligente entrée en matière met à contribution le spectateur : abreuvés des images des attentats, il pourra combler ce noir, inutile d’être redondant. De plus, ce refus ne donne que plus de force à la tragédie de l’instant en se recentrant sur les victimes à travers ces voix d’outre-tombe.


Une scène de torture suit immédiatement l’écran noir : au contraire des images que l’on connait déjà, et qu’il n’est pas nécessaire de repasser, le film va nous montrer sans concession celles que l’on n’a pas vu. Il y a bien sûr eu les photos chocs, les récits, mais jamais nous n’avions plongé ainsi au cœur de la pratique de la CIA afin de pourchasser Ben Laden, et cette traque passe par des actes de tortures. On s’assimile très vite à l’agent de la CIA qui vient d’être dépêchée sur place : Maya (impressionnante Jessica Chastain), puisqu’elle assiste elle-aussi à son premier interrogatoire dans ces conditions. Dissimulée derrière une cagoule et un uniforme militaire, on ne s’attend pas à découvrir une femme. Signe supplémentaire qui montre qu’on va faire tomber le masque, qu’on va aller chez ceux qui mènent une guerre secrète où la dissimulation est reine.


Le fait que Kathryn Bigelow, femme et réalisatrice, mette ainsi en avant ce personnage féminin déterminant n’est bien sûr pas anodin. Elle est habituée à tourner des histoires qui se passent dans des milieux masculins avec des héros masculins. Ainsi, ses deux derniers films se passent dans le milieu de l’armée, en temps de guerre (K-19 : le piège des profondeurs (2002) qui se déroule à bord d’un sous-marin pendant la guerre froide puis évidemment Démineurs en 2009 qui suit une équipe de déminage à Bagdad lors de la guerre en Irak). Ce film change donc la donne en montrant l’évolution de cette femme au cœur d’un milieu et dans des situations qui ne sont pas fréquemment abordées. « C’est moi le salopard qui ai trouvé cette maison ! » déclara-t-elle avec force à ses supérieurs qui l’avaient reléguée au fond de la salle. 


Totalement engagée dans sa mission, Maya va mener une chasse, avec l’aide de son équipe, dont la base sera avant tout le renseignement et l’exploitation des données qu’ils ont. Et ces données, elles sont humaines. Les scènes de tortures occupent  la première partie du film et sont nécessaires pour ne pas occulter un processus, un système et un quotidien forcément troublé (le collègue de Maya préfère d’ailleurs renoncer pour sa propre santé mentale). Si Godard, dans le contexte de la Guerre d’Algérie, la dénonçait dans son Petit Soldat (1960) lors de séquences difficiles et marquantes ; Kathryn Bigelow est d’avantage dans une monstration brute des faits. C’est une partie d’un tout plus vaste. Elle n’ignore pas pour autant les sentiments de ses personnages. Ainsi, même si elle n’en dit pas mot, Maya est choquée par ce qu’elle voit avant de mener à son tour un interrogatoire où elle aura, finalement, recourt aux mêmes techniques. Scène intéressante où on la voit devant le lavabo retirer la perruque brune qu’elle portait alors et se laisser aller à suffoquer. L’agent et le bourreau, deux facettes, deux visages devenus complémentaires qui rongent et détruisent. Plus le temps avance, plus Maya sera seule. 


Ces échanges finissent cependant par donner des choses concrètes et c’est à une traque palpitante que va assister le spectateur avec le tour de force de captiver l’attention sans emphase, à travers les recherches de l’équipe. Très documenté comme ses précédents films, Zero Dark Thirty est ainsi une véritable immersion, chose que sait très bien faire la réalisatrice, Démineurs en tête et Point Break (1991) dans une autre mesure puisqu’il s’agissait là d’infiltrer un groupe de surfeurs braqueurs. Mais l’intention est la même : être au plus près, comprendre le fonctionnement d’un groupe et dépeindre les personnalités qui le composent. Car une autre gageure du film est d’avoir suivi une traque qui dure en réalité dix ans et la seule qui demeure c’est Maya, portant à bout de bras son fil d’Ariane, ce messager de Ben Laden dont elle a fini par obtenir le nom à force de recoupements. Un nom, tout, rien. Car encore faut-il le retrouver. Le film montre bien les dissensions internes, les conflits hiérarchiques, les budgets pour lesquels il faut se battre. La localisation du messager est presque artisanale (déambulations hasardeuses dans les rues d’Abbottabad). En parallèle de l’évolution ou de la stagnation de la piste, c’est donc aussi l’évolution de Maya qui s’écrit, elle qui arrive en dernier sera la dernière à partir.


Outre la question de la torture, l’assaut final avait aussi sa propre problématique et la réalisatrice s’en sort haut la main en proposant une séquence forte sans être démesurément spectaculaire, une mise en scène chirurgicale, comme les tirs, qui là encore nous embarque littéralement avec le commando. En effet, de nombreux plans en caméra subjective nous font partager la vision de nuit du casque des assaillants. L’absence totale de musique est très bien vue car l’expédition en elle-même est suffisamment dramatique et cela accentue l’effet de réel que procure cette ultime immersion. De la même façon, comment montrer Ben Laden se faire abattre ? Sans ostentation, de façon parcellaire et diffuse mais suffisante, la réalisatrice fait le bon choix et s’attarde au contraire sur les visages de ceux qui vivent le moment. Tout d’abord, le soldat anonyme qui appuie sur la gâchette et qui ne réalise pas la valeur de sa cible, il a fait le job. Point. Comme le confirme d’ailleurs son témoignage récent.


Mais le visage qui va le plus nous marquer, qui clôture le film, c’est bien sûr celui de Maya, celle qui aura cru à sa piste dès le début, qui l’aura soutenue, avec acharnement, alors que les années passaient sans résultats, fil ténu entaché de bien des tragédies. Alors, ce visage qui enfin se relâche le temps d’un instant, cède bien vite la place à un regard hagard. « On va où ? » lui demande le pilote de l’avion de retour qu’on a spécialement affrété pour elle. Terrible silence. Un plan. Une charge émotionnelle profonde. C’est une femme perdue qu’on abandonne, celle qui aura été notre fil du film et qui a perdu celui de sa propre existence. Zero Dark Thirty est avant tout un portrait de femme.


19/02/12
 

► LES ADIEUX A LA REINE (2012)

Réalisé par Benoît Jacquot; écrit par Benoît Jacquot et Gilles Taurand, d'après le roman éponyme de Chantal Thomas.


...Corps et âme

Il y a six ans nous découvrions une Marie-Antoinette rock mise en image par Sofia Coppola, celle de Benoît Jacquot est bien différente car son film commence là ou se termine l’histoire de la reine déchue (interprétée par Diane Kruger). Quatre jours à Versailles, du 14 au 17 Juillet 1789, vont nous êtres racontés au travers les yeux de la jeune lectrice de la reine, Sidonie (Léa Seydoux). Le dévouement absolu de cette dernière est fortement marqué dès le début et pose les jalons d’une relation particulière et excessive. Cette horloge qui sonne pour tirer Sidonie de son sommeil est comme un ordre qui claque, une mécanique royale à laquelle se soumet avec plaisir la lectrice, pourvu qu’elle soit aux côtés de sa douce reine. La voilà qui s’apprête et se parfume à la violette comme on va à un rendez-vous galant. Elle court même, quitte à chuter dans la boue dans l’indifférence (situation prodromique) pour ne pas manquer le rendez-vous avec sa maîtresse, qui ne l’est qu’au sens de Reine.

Le contraste est évidemment saisissant entre les deux chambres qui se succèdent : la chambre de bonne de Sidonie et celle de la reine, sous les dorures. Le caractère intime de leur relation est accentué, outre par le lieu, par la tenue légère de la reine, en chemise de nuit. Cela dit, la domination de cette dernière fait très vite peser le soupçon sur le degré d’intimité supposé. Malgré les apparences, dont se contente et se réjouit Sidonie, l’une donne les ordres, l’autre exécute. Ainsi, voir la reine soigner les piqures de sa lectrice comme on prend soin d’une poupée est tout aussi ambigu que révélateur d’une relation dominante /dominée dont Sidonie est la victime consentante. Benoît Jacquot a déjà eu l’occasion d’explorer ce genre de relations troubles avec son film précédent Au fond des bois (2010).


C’est une Marie-Antoinette elle-même subjuguée par une autre femme, la Duchesse de Polignac (Virginie Ledoyen), qui se donne à voir, en proie à la tourmente de son cœur alors que sa situation de reine touche à sa fin. Un triangle de femmes passionnées pris dans la grande Histoire. C’est toute une ambiance fin de règne qui va ainsi agiter le film à travers une réalisation toujours sur le qui-vive, qui multiplie les mouvements secs de caméras, n’hésitant pas à utiliser le zoom dans un cadre, qui, comme ceux qui le traversent, traduit l’agitation et la précipitation. De nombreuses séquences filmées caméra à l’épaule nous montrent Sidonie de dos qui parcourt les couloirs à vive allure comme un monde se bouleverse, comme un cœur qui s’accélère plus l’étau de la fin se resserre.


Car si les évènements ne parviennent que de façon diffuse à la Cour, ce n’est de toute façon pas la préoccupation première de Sidonie, qui ne vit ce tournant qu’à travers les tourments de sa reine. Une seule chose lui importe : être à ses côtés, quitte à se nier elle-même. Le fait qu’elle cache à la reine son talent de brodeuse uniquement pour ne pas risquer de ne plus être sa lectrice est éloquent. Son dévouement dépasse tout et elle veut bien assister à la tendresse amoureuse de la reine pour la duchesse, tant qu’elle peut la contempler elle. Quand la reine lui confie sa passion absolue et lui demande si elle peut s’imaginer ce bonheur, l’acquiescement de Sidonie vaut bien sûr pour celle à qui elle fait face. Mais cette Marie-Antoinette amoureuse n’en n’est pas moins perverse, car elle joue de cet amour admiratif que lui porte sa lectrice pour qui elle affiche parfois de l’ignorance, parfois du mépris ou encore de l’insatisfaction. « Estimez-vous heureuse des confidences que je vous fais ! » lâchera-telle pour seule reconnaissance.


De la même façon que Sidonie vit les événements à travers sa maîtresse, Marie-Antoinette les vit au travers la menace qui pèse sur la tête de sa duchesse favorite. Le roi a en effet refusé de quitter Versailles, la condamnant ainsi à rester, ce qui l’affecte profondément. Le réalisateur profite alors de cette déchéance qui guette pour faire une citation visuelle du fameux dernier plan des Liaisons dangereuses (Frears, 1988). A Glenn Close devant sa glace faisant tomber le masque des apparences succède le visage démaquillé, la perruque retirée, d’une Marie -Antoinette meurtrie face à son miroir, aux sentiments en péril mis à nu. De même, une longue et forte séquence, qui se déroule dans un long couloir où les membres de la cour tiennent  conciliabule à la lueur des bougies, instaure cet état d’urgence, ce feu qui couve. Un monde s’écroule et ce tumulte du peuple, dont on ne verra rien, a déjà gagné le cœur du pouvoir, à l’instar de ce couloir bruyant. Et la liste des têtes à coupées circule. La discrète mais efficace musique à base d’instruments à cordes (violons, violoncelles, contrebasses) ponctuent le crescendo dramatique qui trouve son acmé dans le sacrifice ultime de la lectrice pour sa reine.


Désireuse naïve et jusqu’au-boutiste, amoureuse à sa façon, Sidonie obéit à sa reine en toutes circonstances. En effet, répondant au souhait désespéré de sa maitresse pour sauver sa bien-aimée à qui elle a demandé de fuir, elle accepte de servir d’appât en se faisant passer pour la Duchesse. La voilà parée des atours de cette dernière, telle une poupée dont on change la panoplie. Son corps nu fait écho à celui de la Duchesse entrevu auparavant par Sidonie. Réduite à l’état de corps-objet, c’est finalement là le plus grand rôle que lui donnera la vie. Le jeu de l’amour et des apparences avait déjà permis à Benoît Jacquot d’en faire un très bon film, La fausse suivante (2000). On retrouve ici l’ambiguïté des sentiments et des gestes puisqu’à travers ce déguisement, la lectrice devient celle qu’elle a rêvée d’être : celle qui serait aimée de la reine tandis que cette dernière ne voit encore que l’image de celle qu’elle sauve et non pas le sacrifice de celle qui endosse les habits.


La voilà devenue quelqu’un qu’on salue et même si on la prend pour une autre, cela n’a pas d’importance puisque dans les yeux de ceux qui la regardent, elle est la favorite de la reine, elle est aimée et sait que même loin d’elle, à travers sa mission, elle continue de la servir. Et pour un instant, pour l’éternité d’un ralenti, elle savoure sa descente d’escalier dans ses nouveaux habits. La lectrice n’est plus, elle est une femme, une femme qui garde son énigme, qui sourit à la vie, à la mort. Qu’importe, elle a obéit.


20/02/12