dimanche 25 mai 2014

► THE HOMESMAN (Cannes 2014)

Réalisé par Tommy Lee Jones ; écrit par Wesley Oliver, Kieran Fitzgerald et Tommy Lee Jones, d'après l’œuvre de Glendon Swarthout.


...Quitter l'Ouest

Tommy Lee Jones revient au Festival de Cannes après y avoir triomphé en 2005 avec le prix d’interprétation masculine pour son premier film réalisé pour le cinéma, Trois enterrements ainsi que celui du scénario pour  Guillermo Arriaga. Présenté en compétition officielle, The Homesman confirme l’attrait de Tommy Lee Jones pour les grands espaces et les trajectoires, physiques et mentales, de ses personnages. Son dernier film atteste à nouveau de son talent de réalisateur, s’engageant dans les sillons disparus du western (même si ces dernières années ont vu ponctuellement resurgir le genre), l’histoire (adapté du roman de Glendon Swarthout) envoie sur les routes désertiques un atypique attelage composé d’une femme au fort caractère qui doit ramener dans leur famille trois femmes ayant perdu la raison, aidée d’un homme bourru qu’elle a sauvé in extremis de la pendaison. L’aventure s’annonce compliquée et singulière. La mise en scène soignée et inspirée ne perd jamais ses personnages dans les paysages, elle s’y attache et lève parfois le coin de ce voile de poussière qui obstrue le passé de ces étranges passagers. Portrait sensible et mélancolique de solitudes, affectives ou psychologiques, le film investit à sa façon un genre codifié pour y inscrire des destinées intimement liées.


Les premiers plans (successions de paysages désertiques typiques) sur fond de soleil couchant ne sont pas un simple indicateur topographique mais également un marqueur psychologique. Le vide et le statique dominent ces paysages état-d’âme à l’horizontalité assenée (récurrente ligne d’horizon terre-ciel) avant d’être fendus visuellement par l’entrée de Cuddy (épatante Hilary Swank) qui laboure son champ. Son arrivée procède d’une double rupture : elle remplit un cadre (au format Scope) dépourvu d’humanité et marque de son empreinte ce qui lui préexiste en traçant littéralement son sillon. C’est également la mise en avant d’un personnage central, une femme de tête, qui, déjà, par son travail au champ, est dans les pas des hommes. En effet, c’est elle, face  à la mauvaise volonté des maris des femmes devenues folles, qui décidera de se charger de leur transport. Cuddy est à la manœuvre (elle se fait construire une carriole aménagée) et tient bon face à ses détracteurs même si elle se rend compte de l’ampleur de la tache (beau plan où de dos elle contemple l’immensité à parcourir).


Les femmes ont ainsi une place principale dans cette odyssée westernienne (d’ouest en est, du Nebraska à l’Iowa) mais elles sont des personnages en souffrance. Il y a tout d’abord les trois femmes qui se sont coupées de la réalité et qui toutes ont un traumatisme en lien avec la maternité (l’une a tué son bébé, l’autre a vu ses trois enfants mourir et la dernière n’a pu en donner à son mari). Quant à Cuddy, l’abandon de ces femmes par leur mari, la renvoie au propre rejet dont elle souffre de la part des hommes qui la trouve rude et autoritaire. Faire ce trajet est aussi pour elle, puisque rien ne la retient, le moyen d’être autre chose que la femme célibataire s’occupant seule de sa ferme. Elle s’est substituée aux maris et cet acte mal vu semble la couper  définitivement d’un statut qu’elle a pourtant essayé de tenir (recevoir un homme, lui faire à dîner, lui chanter une chanson). Contraignant Briggs (Tommy Lee Jones, qui compose un intéressant personnage roublard) à l’accompagner puisqu’il lui est redevable d’une vie, elle assume son autorité : « Jurez devant Dieu de m’obéir ».


Aux cris et à la violence inaugurale (le mari qui ligote sa femme, la rage d’un autre lors du départ, la carriole à bestiaux aménagée avec des anneaux pour attacher si besoin ces femmes qui font peur…) succèdent les pointes d’humanité de personnages renfermés qui doivent cohabiter. Cuddy fait preuve d’un altruisme (comme lorsqu’elle console les petites filles d’une des femmes) et d’une douceur qui s’oppose à la rigidité qu’on lui a toujours renvoyée. Car s’il faut prendre soin de ces voyageuses particulières, qui prend soin d’elle ? La fragilité n’est pas forcément du côté qu’on croit. Séparée momentanément de l’attelage, la scène où elle retrouve, après avoir erré, Briggs et les femmes, montre toute la détresse qui est la sienne. Elle la formalisera verbalement par une demande la ramenant à son intention profonde dont l’issue inattendue sera à l’image d’un film à la tonalité douce-amère.  De même, ces femmes muettes manifesteront d’une façon particulièrement touchante le fait d’être devenues des solitaires solidaires. Portée par la musique délicate (piano et cordes) de Marco Beltrami, le film réussi de Tommy Lee Jones fait de ces exclus d’émouvants migrants, ceux dont on voulait perdre la trace et dont le cheminement conférera une place.  

Sélectionné et publié sur Le Plus du NouvelObs.com


18/05/2014  

mardi 6 mai 2014

► LAST DAYS OF SUMMER (2014)

Écrit et réalisé par Jason Reitman, d'après l’œuvre de Joyce Maynard.


... Cicatrisations


Le réalisateur canadien Jason Reitman aime situer ses histoires dans les petites villes de province américaine, l’adaptation du roman de Joyce Maynard (Labor Day, titre original du film), lui offre à nouveau cette opportunité. Dans le New Hampshire, Henri, 13 ans, vit seul avec sa mère dans la maison familiale. Cette dernière, dépressive depuis son divorce, vit quasi recluse. Henry fait tout pour lui rendre la vie plus agréable jusqu’à l’intrusion dans leur pâle existence d’un fugitif qui va s’installer à demeure. Si le film se donne le ton d’une comédie dramatique, c’est pour mieux s’en détourner et s’installer durablement dans la romance, celle de deux êtres au passé suintant la douleur que les circonstances rapprochent inexorablement. Le réalisateur de Juno (2007) met ainsi en place une relation triangulaire dans la douceur finissante de l’été avec finesse, sensibilité et sérénité. Cette séduisante utopie estivale, sans arme, ni haine, ni violence ravive la chaleur des sentiments chez des personnages à un tournant.


Que l’apparition de Franck (Josh Brolin) se fasse alors qu’Henry (Gattlin Griffith) regarde des bandes dessinées de super-héros est un clin d’œil ironique puisque cet homme en cavale a au contraire tout de l’anti-héros : condamné à 18 ans de prison pour meurtre, il prend en otage une femme fragile et son fils. Mais tout est déjà dans la retenue et la suggestion (une main ferme sur la nuque d’Henry, une voix assurée et tranquille), le déroulement de cette scène (au milieu d’un univers quotidien et des clients de la supérette) révèle ce qui sera la constance du propos comme de la mise en scène : calme et douceur passionnelle derrière la façade des faits. Situer une histoire dans un temps particulier n’est pas non plus anodin, les derniers éclats de cette saison (récurrence des rayons solaires jouant avec les feuilles des arbres) sont autant d’échos à la transition qui éclot dans la vie d’Adèle (touchante Kate Winslet, traits marquées et visage au diapason des émotions) et de son fils. Le simulacre des mains attachées ne durera qu’une nuit, pour préserver les apparences, ces liens matériels ne sont plus utiles puisque d’autres, sentimentaux, sont déjà à l’œuvre. La scène où Franck donne à manger à Adèle fonde cette relation naissante et fulgurante. « Je suis là pour te sauver » lui dira-t-il d’ailleurs. Faisant ainsi, par opposition, un renvoi à la notion d’anti-héros qu’avait auguré son arrivée.


Mettant le lyrisme au premier plan, Jason Reitman maintient néanmoins un semblant de menace, mais celle-ci est toujours extérieure (patrouilles de police, journaux, bulletins télévisés), la maison et son jardin, à l’abri des regards deviennent un cocon où chacun s’ouvre et retrouve une idée du bonheur. « Prenez le temps de cicatriser » lui demandent la mère et le fils, prenant le prétexte de la blessure de Franck pour le faire rester. L’histoire ne se déroule que sur quelques jours et joue volontiers de l’ellipse en ce qui concerne cette foudroyante passion entre Adèle et Franck (leurs longues conversations menées nuitamment nous resteront sourdes)  et cela renforce précisément cette sensation d’intimité forte qui les lie et qui appartient au mystère de l’alchimie amoureuse. Henry (qui est le narrateur) est le témoin de ce rapprochement soudain et la question de son positionnement se posera. En effet, le fils, devenu l’homme de la maison, le début y insiste, peut légitimement se sentir exclu et voir Franck comme un adversaire (il prend le relais et s’occupe désormais de tout dans la maison), surtout quand l’une de ses amie instille le doute dans son esprit.


La réalisation, aux images lumineuses, donne de l’ampleur au présent en entrelaçant ces moments amoureux et conviviaux avec de courtes saynètes muettes et énigmatiques appartenant au passé. Créant du relief à cette histoire vécu dans l’instant, ces flashs (dont on découvrira plus tard à qui ils font référence) rappellent en creux que l’on ne sait rien du passé d’Adèle et de Franck. Cette rencontre et cette vie à l’insu de tous (Franck est toujours recherché), choyée, préservée (mais peut-elle exister en dehors du foyer ?), fera ressurgir les douleurs enfouies et ramènera chacun à sa propre histoire et à la volonté de faire exister l’avenir. Le trio a ainsi son importance car Franck, Adèle et Henry vont ensemble faire cette expérience de la fin et du renouveau (situation symbolique d’Henry qui entame son adolescence) dans cette ambiance tendre et cotonneuse où la simplicité devient une preuve de vie.

01/05/14