Réalisé par David Cronenberg ; écrit par Bruce Wagner
... Au firmament de la dégénérescence
Peu récompensé à Cannes (un seul
prix spécial du Jury en 1996 pour Crash),
David Cronenberg en a néanmoins étant le président lors de l’édition 1999, son
film se voit cette année récompensé à travers son actrice Julianne Moore qui remporte
le prix d’interprétation féminine pour son rôle d’une actrice en mal de films,
odieuse et ambitieuse. Son personnage est à l’image d’un propos qui s’aventure
sur la route sinueuse et pernicieuse d’un Hollywood dont l’appellation d’usine
à rêve contient toute la contradiction d’un univers que Cronenberg va faire
imploser avec virtuosité. Après le très verbal et politique Cosmopolis (2012) et son discours sur le Monde, le réalisateur resserre
son approche et passe au scanner un microcosme, une société-monde tournée vers
elle-même, vivant en vase clos : celle des acteurs et de leur entourage
dans la ville dont le seul nom est évocateur. La radiographie est cruelle et
malsaine et joue nécessairement de la mise en abîme puisque ce regard sans
concession vers les étoiles se fait au travers de la lunette cinématographique
par quelqu’un qui en connait les rouages. Et le choix de sa focaliser sur ceux
qui en sont les représentants les plus visibles, les acteurs, permet à
Cronenberg d’y faire surgir la dégénérescence sur ces humains contaminés par un
système stellaire mortifère.
Le pluriel du titre met en avant
l’idée de plusieurs destinées enchevêtrées, chacun ayant sa carte le menant à
son rêve. Ainsi, Agatha (Mia Wasikowska) débarque à Hollywood le visage radieux,
comme pouvait l’être celui de la blonde
Betty dans le Mulholland Drive (2001) de
David Lynch (autre exploration hypnotique du miroir aux alouettes) et espère se
faire une place dans le milieu. Elle sera engagée par Havana (Julianne Moore),
actrice en difficulté, fille d’une ancienne star, accro aux médicaments faute
de rôle. Celui qui a réussi et qui domine le box-office adolescent, c’est
Benjie (Evan Bird), le jeune frère d’Agatha (que tous pensent internée). Son
dernier film a été un succès, ce qui semble avoir décuplé son arrogance et sa
suffisance (scène où il méprise et insulte un de ses conseillers avec des
propos violents). De quoi parle-t-on à table ? Du cachet en négociation
pour la suite du film potache dont il tient le rôle principal. La froideur de l’intérieur
de la maison papier- glacé (« J’ai
vu les photos dans un magazine » dira d’ailleurs Agatha) est comme le verni
trop parfait d’un décor, aseptisé et trompeur. Le mensonge, la souillure et la
folie sont tapis dans les recoins des âmes des habitants. Ces trois lignes
directrices évoluent dans le même univers et leur connexion scande l’hybridation
monstrueuse et consanguine qui est à l’œuvre dans ce petit milieu où une
audition engendre la vie et un refus mène à la perdition.
Car c’est bien sûr les chutes qui
intéressent Cronenberg, a trop vouloir s’approcher des lettres géantes d’Hollywood
(écrasantes et dominantes) sur la célèbre colline que l’on voit en
contre-plongée au début du film, tel Icare, certains s’y brûlent les ailes. De brûlures
précisément il est question avec Agatha puisqu’elle a été ostracisée de sa
famille après avoir mis le feu à la maison familiale (en contrebas du panneau
vendeur de rêve), elle en garde les séquelles au visage et sur son corps qu’elle
dissimule derrière des vêtements et des bas noirs sur les bras qui ne sont pas
sans évoquer les mythiques gants longs de Rita Hayworth dans Gilda (King Vidor, 1946). Quintessence
de l’icône sensuelle hollywoodienne des années 40. Agatha, au contraire, ne s’effeuille
pas, elle cache sa peau comme ses parents ont voulu la faire disparaitre de
leur existence, loin de leur vie rêvée dans laquelle elle n’avait plus sa place.
Elle est une anomalie dont il faut se débarrasser (son père tente de l’éloigner
en lui donnant de l’argent puis en la frappant). C’est qu’avec ses blessures et
son côté psychotique, elle les renvoie à la craquelure du verni, au mal qui
laisse sa trace et qui couve, elle est le symptôme de ce qu’ils ont engendré
par un acte porteur de trouble. On ira de la dissimulation (le secret familiale)
à la monstration (révélation en latence) comme Agatha cache ses bras puis les
découvrira quand elle l'aura choisi.
Tous sont atteints de pathologies
dont le monde hollywoodien sera vecteur et réceptacle dans la lignée du film
matrice du genre Sunset Boulevard (Billy
Wilder, 1950). Havana est cette actrice déchue dont on ne veut plus qui règne
sur ses esclaves domestiques, comme elle les désigne, à défaut de régner sur un
plateau. Jalousie et hypocrisie dominent, elle qu’on a vu incapable de
contenir son calme à l’annonce du choix d’une autre actrice (scène du cri) est
contrainte de paraitre détachée et enthousiaste face à sa rivale qu’elle croise,
moment pathétique. Sa danse de la joie quand elle apprend qu’elle reprend le
rôle (pour incarner sa propre mère dans un remake) suite à une tragédie suinte le cynisme et contient toute l’horreur d’une
lutte sans pitié dans un monde où le sentimentalisme n’a pas sa place. L’enfant
star de Qu’est-il arrivée à Baby Jane
(Aldrich, 1962) a fait des émules, Benjie est la figure de proue d’une jeune génération
d’acteur imbus d’eux-mêmes, outrancière, vulgaire et dépendante (de la drogue
comme d’un environnement). La séquence de la fête est à la fois ironique (les
filles se moquent des vielles actrices, ce qu’elles sont en devenir) et
consternante.
Les héritiers de Shirley Temple
(la première enfant star, décédée en début d’année, il y est fait référence à
propos du cocktail qui porte son nom) sont devenus des monstres (Benjie tente d’étrangler
son rival, un enfant !), fruits d’un même système et guidés par les mêmes
désirs, au risque de perdre toute liberté car assujettis à ce qui les a
dépassé. Fedora (Billy Wilder, 1978, qui
entretient plusieurs liens avec le film de Cronenberg) donnait à voir la
déchéance et les limites d’une existence tournée maladivement vers la lumières
des projecteurs, Maps to the stars se
joint au cauchemar et pose la question de la liberté dans le carcan de ce monde
clos. Des citations récurrentes du poème
Liberté (1942) de Paul Éluard prononcées par le frère et la sœur (Benjie et
Agatha) rythment l’idée d’une échappatoire en latence face au spectacle de la
désagrégation d’une famille sanguine ou professionnelle. C’est ainsi que les
enfants d’Hollywood rejoindront les étoiles dans un simulacre d’union qui vaut
pacte de mort sur l’autel d’une mère- industrie incestueuse.
Sur l’absence sans
désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Liberté
(Paul Éluard, Liberté,
Poésies et vérités, 1942)
01/06/14
01/06/14
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