dimanche 1 juin 2014

► MAPS TO THE STARS (Cannes 2014)

Réalisé par David Cronenberg ; écrit par Bruce Wagner


... Au firmament de la dégénérescence
 

Peu récompensé à Cannes (un seul prix spécial du Jury en 1996 pour Crash), David Cronenberg en a néanmoins étant le président lors de l’édition 1999, son film se voit cette année récompensé à travers son actrice Julianne Moore qui remporte le prix d’interprétation féminine pour son rôle d’une actrice en mal de films, odieuse et ambitieuse. Son personnage est à l’image d’un propos qui s’aventure sur la route sinueuse et pernicieuse d’un Hollywood dont l’appellation d’usine à rêve contient toute la contradiction d’un univers que Cronenberg va faire imploser avec virtuosité. Après le très verbal et politique Cosmopolis (2012) et son discours sur le Monde, le réalisateur resserre son approche et passe au scanner un microcosme, une société-monde tournée vers elle-même, vivant en vase clos : celle des acteurs et de leur entourage dans la ville dont le seul nom est évocateur. La radiographie est cruelle et malsaine et joue nécessairement de la mise en abîme puisque ce regard sans concession vers les étoiles se fait au travers de la lunette cinématographique par quelqu’un qui en connait les rouages. Et le choix de sa focaliser sur ceux qui en sont les représentants les plus visibles, les acteurs, permet à Cronenberg d’y faire surgir la dégénérescence sur ces humains contaminés par un système stellaire mortifère.   
   

Le pluriel du titre met en avant l’idée de plusieurs destinées enchevêtrées, chacun ayant sa carte le menant à son rêve. Ainsi, Agatha (Mia Wasikowska) débarque à Hollywood le visage radieux, comme pouvait l’être celui de  la blonde Betty dans le Mulholland Drive (2001) de David Lynch (autre exploration hypnotique du miroir aux alouettes) et espère se faire une place dans le milieu. Elle sera engagée par Havana (Julianne Moore), actrice en difficulté, fille d’une ancienne star, accro aux médicaments faute de rôle. Celui qui a réussi et qui domine le box-office adolescent, c’est Benjie (Evan Bird), le jeune frère d’Agatha (que tous pensent internée). Son dernier film a été un succès, ce qui semble avoir décuplé son arrogance et sa suffisance (scène où il méprise et insulte un de ses conseillers avec des propos violents). De quoi parle-t-on à table ? Du cachet en négociation pour la suite du film potache dont il tient le rôle principal. La froideur de l’intérieur de la maison papier- glacé (« J’ai vu les photos dans un magazine » dira d’ailleurs Agatha) est comme le verni trop parfait d’un décor, aseptisé et trompeur. Le mensonge, la souillure et la folie sont tapis dans les recoins des âmes des habitants. Ces trois lignes directrices évoluent dans le même univers et leur connexion scande l’hybridation monstrueuse et consanguine qui est à l’œuvre dans ce petit milieu où une audition engendre la vie et un refus mène à la perdition.


Car c’est bien sûr les chutes qui intéressent Cronenberg, a trop vouloir s’approcher des lettres géantes d’Hollywood (écrasantes et dominantes) sur la célèbre colline que l’on voit en contre-plongée au début du film, tel Icare, certains s’y brûlent les ailes. De brûlures précisément il est question avec Agatha puisqu’elle a été ostracisée de sa famille après avoir mis le feu à la maison familiale (en contrebas du panneau vendeur de rêve), elle en garde les séquelles au visage et sur son corps qu’elle dissimule derrière des vêtements et des bas noirs sur les bras qui ne sont pas sans évoquer les mythiques gants longs de Rita Hayworth dans Gilda (King Vidor, 1946). Quintessence de l’icône sensuelle hollywoodienne des années 40. Agatha, au contraire, ne s’effeuille pas, elle cache sa peau comme ses parents ont voulu la faire disparaitre de leur existence, loin de leur vie rêvée dans laquelle elle n’avait plus sa place. Elle est une anomalie dont il faut se débarrasser (son père tente de l’éloigner en lui donnant de l’argent puis en la frappant). C’est qu’avec ses blessures et son côté psychotique, elle les renvoie à la craquelure du verni, au mal qui laisse sa trace et qui couve, elle est le symptôme de ce qu’ils ont engendré par un acte porteur de trouble. On ira de la dissimulation (le secret familiale) à la monstration (révélation en latence) comme Agatha cache ses bras puis les découvrira quand elle l'aura choisi.


Tous sont atteints de pathologies dont le monde hollywoodien sera vecteur et réceptacle dans la lignée du film matrice du genre Sunset Boulevard (Billy Wilder, 1950). Havana est cette actrice déchue dont on ne veut plus qui règne sur ses esclaves domestiques, comme elle les désigne, à défaut de régner sur un plateau. Jalousie et hypocrisie dominent, elle qu’on a vu incapable de contenir son calme à l’annonce du choix d’une autre actrice (scène du cri) est contrainte de paraitre détachée et enthousiaste face à sa rivale qu’elle croise, moment pathétique. Sa danse de la joie quand elle apprend qu’elle reprend le rôle (pour incarner sa propre mère dans un remake) suite à une tragédie suinte le cynisme et contient toute l’horreur d’une lutte sans pitié dans un monde où le sentimentalisme n’a pas sa place. L’enfant star de Qu’est-il arrivée à Baby Jane (Aldrich, 1962) a fait des émules, Benjie est la figure de proue d’une jeune génération d’acteur imbus d’eux-mêmes, outrancière, vulgaire et dépendante (de la drogue comme d’un environnement). La séquence de la fête est à la fois ironique (les filles se moquent des vielles actrices, ce qu’elles sont en devenir) et consternante. 


Les héritiers de Shirley Temple (la première enfant star, décédée en début d’année, il y est fait référence à propos du cocktail qui porte son nom) sont devenus des monstres (Benjie tente d’étrangler son rival, un enfant !), fruits d’un même système et guidés par les mêmes désirs, au risque de perdre toute liberté car assujettis à ce qui les a dépassé. Fedora (Billy Wilder, 1978, qui entretient plusieurs liens avec le film de Cronenberg) donnait à voir la déchéance et les limites d’une existence tournée maladivement vers la lumières des projecteurs, Maps to the stars se joint au cauchemar et pose la question de la liberté dans le carcan de ce monde clos. Des citations récurrentes du poème Liberté (1942) de Paul Éluard prononcées par le frère et la sœur (Benjie et Agatha) rythment l’idée d’une échappatoire en latence face au spectacle de la désagrégation d’une famille sanguine ou professionnelle. C’est ainsi que les enfants d’Hollywood rejoindront les étoiles dans un simulacre d’union qui vaut pacte de mort sur l’autel d’une mère- industrie incestueuse. 


Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Liberté

(Paul Éluard, Liberté, Poésies et vérités, 1942)

01/06/14

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