Réalisé par David Michôt ; écrit par David Michôt d'après une histoire de Joel Edgerton.
… Rage d’asphalte
Révélé en 2010 par son film Animal kingdom, le réalisateur
australien David Michôd frappe une nouvelle fois fort avec son dernier long
métrage, The Rover, qui a été
présenté en compétition à Cannes cette année. Il ne se défait pas d’un univers
sombre et violent qu’il extrait néanmoins de la cellule familiale qu’il avait
fait imploser dans son film précédent pour le répandre dans l’Outback
australien « dix ans après la
chute ». Que s’est-il passé ? Ce n’est pas le propos, seule importe
la dérive en cours : celle de deux hommes que la route fait se rencontrer,
là, dans le désert d’une humanité vivant recluse et isolée. Éric a une
obsession : retrouver sa voiture qu’on vient de lui dérober, la rencontre
avec Rey, le frère d’un des criminels voleurs, lui apparaît comme le moyen de
récupérer son bien. Mais Rey ne va pas lui révéler le point de chute des
fuyards, il va l’y mener. Obligé de l’embarquer avec lui, Éric commence une
traversée étrange, sanglante et désabusée, de jour comme de nuit vers ce qui
semble être l’absurdité même. Dans une mise en scène impeccable et implacable, David
Michôd conduit son road-movie tel un thriller dans les abysses de l’âme
humaine, là où plus rien ne compte sinon sa propre survie si tant est qu’on ait
un but.
Car Éric (impassible Guy Pearce,
déjà présent dans Animal Kingdom) a
un objectif ardent qui semble défier toute raison : récupérer sa voiture
disparue dans l’immensité désertique, rien ne justifie a priori une telle
débauche d’énergie et de rage pour traquer les hommes responsables du méfait,
eux-mêmes en fuite après avoir fait un carnage. « Vous devez beaucoup y tenir à cette voiture. Qu’a-t-elle de
spécial ? » s’étonnera d’ailleurs une tenancière qu’il tente de
faire parler et qu’il croise lors de son périple. Une chose est sûre :
cette quête soudaine le sort de la torpeur qui était la sienne, jouant
volontiers sur les contrastes et les décalages, le film instaure ce principe
dès le début. Affalé sur un comptoir de bar miteux et poussiéreux, dans un
contre-jour à l’image de ce qu’il reste de sa vie, Éric ne voit pas dans la
profondeur de champ les tonneaux que fait le véhicule des criminels en fuite.
Image saisissante de l’apathie sur le point d’être annihilée. Ce contraste se
répand dans tout le film par bribes : dans ce désert australien interlope
se terrent des asiatiques, des aborigènes, une femme médecin, un bordel et des
militaires désœuvrés. Taciturne, Éric n’est pas dans l’interaction constructive
avec ces personnages croisés, ils sont des moyens :
arme, essence, soins. Il les quitte d’ailleurs généralement en les ayant
froidement abattus.
Car l’abattage de l’humain dans
ce monde qui a fait fi des lois n’émeut plus Éric même s’il assène qu’il « ne faut jamais oublier une vie qu’on
a prise » en réponse à Rey (Robert Pattinson, qui confirme ses galons
d’acteur important) qui vient de tuer quelqu’un. Et c’est bien là le seul
interlocuteur avec qui il va avoir un semblant d’échange, même s’il se sert de
lui pour atteindre la planque des voleurs de sa voiture, quelque chose semble
se nouer, dans la retenue et la froideur chez Éric, beaucoup plus perceptible
chez Rey. Ce dernier, laissé mourant par ses complices dont son frère, trouve
là une figure tutélaire dont les propos ne seront pas sans l’influencer.
D’abord soumis dans un rapport de force, Rey va prendre de l’assurance en cours
de route : « C’est moi qui
commande maintenant » osera-t-il, sachant qu’Éric ne peut retrouver
les fuyards sans lui. De même, il prend les devants lors de l’achat de l’essence
et des munitions. Quelque chose est en mouvement et Éric ne le perçoit pas
d’emblée. Sa conversation nocturne avec son guide-prisonnier sur le néant divin
et l’individualisme aura des répercussions violentes et tragiques que la
poursuite va distiller. Celui qui était un animal blessé rampant se mue en
fiévreux de la gâchette.
Les grands espaces de cette
Australie-Méridionale se prêtent à une atmosphère westernienne mais où le
voyage se fait en voiture. De même, cette confrontation en latence entre l’un
et les autres est magistralement inaugurée par une chasse routière anxiogène
qui nous rappelle le Duel de
Spielberg (1971). Entre paysages crépusculaires et arides, le film cloisonne
ceux qui le hantent. Les rencontres se font dans des baraquements de tôle et de
ferraille ou dans des ruines d’un monde qui n’est plus et dans lequel Éric
n’espère plus rien. Mais n’y en-a-t-il pas un autre qui lui s’est mis à croire,
non plus en Dieu (certaines images christiques pointent pour exhiber leur
symbole macabre) mais en sa propre vindicte. Le précédent film de David Michôd
mettait déjà ses personnages face à leurs responsabilités et aux choix qu’ils
devaient subir ou affronter, The Rover
poursuit ces thématiques en les poussant vers le dépouillement d’un décor qui
est aussi celui de la sécheresse de cœurs endurcis. La route mènera Éric et Rey
vers une destination intérieure nouvelle ou oubliée aux conséquences opposées
qui repose la question de l’humanité face à son animalité.
Publié et sélectionné par Le Plus du NouvelObs.com
07/07/14
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire