mercredi 16 juillet 2014

► COLDWATER (2014)

Réalisé par Vincent Grashaw ; écrit par Vincent Grashaw et Mark Penney


... Dressage carnassier

Le premier long métrage de l’américain Vincent Grashaw, surtout connu pour avoir produit, monté et joué dans Bellflower (succès critique en 2011), heurte le spectateur par son réquisitoire sans concession, sec  et brutal contre les centres de redressement pour mineurs aux États-Unis. Ces structures privées ne sont pas dépendantes de l’État et peuvent donc agir à leur guise en ce qui concerne leur programme de prise en main de ces adolescents. Hasard du calendrier, Coldwater sort quelques semaines après Les poings contre les murs, violente descente dans l’univers carcéral. Si certains films du genre sont redondants, celui de Vincent Grashaw se distingue déjà par un parti pris politique : nous faire pénétrer dans un univers à la marge du système pénitentiaire dont les détenus ne sont pas envoyés là par la justice mais par leurs propres parents. C’est ce qui arrive au personnage principal, Brad (P.J. Boudousqué, dans son premier rôle au cinéma), par qui on pénètre dans ce ranch isolé où les règles ne dépendent que de ceux qui décident de les créer. Ce centre de détention à ciel ouvert où le soleil ne lâche jamais les prisonniers est plus étouffant que le huis clos d’une prison puisque tout y est permis pour les gardiens, du sadisme à la torture. La chaleur du lieu n’a d’égal que la froideur de ses pratiques : Coldwater fixe sur l’écran un constat terrifiant et glaçant.


Le réveil brutal de Brad par les agents du centre est le premier impact d’une onde qui va se répandre sur tout le film : des menottes (qui seront l’objet récurent de l’asservissement) à l’agressivité  des gardiens (et les inspections surprises en pleine nuit), la méthode se donne à voir, les actes seront bien pires. « On va vous redresser, vous changer, vous faire évoluer », le discours rodé du colonel, ancien marine, claque au visage des nouveaux arrivants. Il ignore alors à quel point il a raison. Ce dernier est la caricature de lui-même : reconverti dans l’éducation de délinquants, cigarillo à la bouche, il règne en despote sur ce qui est son territoire. Des plans répétés sur les barbelés marquent la frontière, il fait courir les jeunes jusqu’à la porte d’entrée grillagée, comme pour mieux leur asséner leur impossibilité de sortir (on est à 40km de la première ville). Même la police ne saurait interférer dans le fonctionnement du centre : Brad en fera l’amère expérience en étant ramené par le représentant de la loi (shérif adjoint) au ranch après avoir tenté de dénoncer les actes de maltraitances. L’Irlande a eu ses Magdalene Sisters (Peter Mullan, 2002), la Norvège l’île Bastøy et la dureté de son centre pour jeunes délinquants vu dans Les Révoltés de l’île du Diable (Marius Holst, 2010), l’Amérique a ses camps de correction.


Dans le sillage du Dog pound de Kim Chapiron (2010), Coldwater se focalise pour sa part sur une figure de proue en la personne de Brad, des flashbacks nous font comprendre les raisons de sa présence, de son endurcissement et esquissent des parents dépassés qui ignorent souvent la réalité de ces centres, l’Amérique n’a-t-elle pas toujours une solution aux problèmes ? Son statut va changer au cours de sa détention : le film choisit, à raison, de développer l’histoire sur deux années et de montrer ainsi la perversité d’un système où rien ne se perd mais tout se transforme. En effet, un simple détenu peut devenir « éclaireur », un grade qui lui permet une fonction semi-dirigeante, puis « assistant » une fois terminé son séjour contraint. Ainsi, sous cet aspect valorisant, le colonel met en place une vie en vase-clos où les victimes deviennent les bourreaux avec d’autant plus de sadisme qu’ils ont eux-mêmes vécu cela précédemment. Brimades, épuisement, humiliations sont le lot quotidien de ces adolescents traités comme des bêtes : menottés et suspendus comme un morceau de viande à un croc de boucher ou obligés de courir encadrés par des quads comme des animaux traqués dans la savane. Dans Un Prophète (le fameux film carcéral de Jacques Audiard), il fallait survivre aux autres, ici il faut résister à ceux que des familles payent en espérant une remise dans le droit chemin. Ils ignorent que c’est un chemin de croix pour leurs enfants.


L’administration fait figure de pantomime : les deux inspecteurs sociaux ne veulent pas voir, pas savoir. Quant au médecin du centre, personnage muet à l’image de sa soumission, il panse ce qu’il peut mais brille par son inaction. Brad va expérimenter les différentes postures à tenir face à ces représentants avec qui il faut composer avant une humiliation violente et publique par le colonel qui lui fera choisir une orientation inattendue. Car si tout semble se répéter et se perpétuer, la meilleure solution pour dénoncer le système n’est-il pas d’être à l’intérieur ? Zone de non-droit aberrante, le ranch martyrise pour rééduquer, loin de tout, là où on cache ce qu’on ne veut pas assumer, jusqu’à un point de non-retour d’une violence inouïe. Vincent Grashaw taille dans le vif d’une Amérique aveugle qui laisse engendrer sa propre barbarie.

Publié sur Le Plus du NouvelObs.com


12/07/14        

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