mercredi 17 septembre 2014

► MÉTAMORPHOSES (2014)

Écrit et réalisé par Christophe Honoré; d'après l’œuvre d'Ovide.


 ... Le désir du Mythe

Christophe Honoré est audacieux et c’est tant mieux. Et il en fallait de l’audace pour aller chercher dans les douze mille vers des Métamorphoses, écrits par Ovide dans les premières années après J-C, de quoi faire un film. Non pas par difficulté d’y trouver une histoire, il y a plus de deux cent récits mythiques, mais d’y savoir y prélever certains épisodes qui, dans un nouvel agencement, permettraient l’éclosion d’un tout cohérent doué d’une dynamique progressive. Les Arts (peinture, sculpture, musique…) se sont depuis bien longtemps déjà emparés de ces voyages évocateurs, mythologiques, épiques, primitifs. L’art des images en mouvement se joint donc au cortège et Christophe Honoré, avec une délectation certaine, projette en plein XXIème siècle, entre le bucolique et les barres d’immeubles, des héros divins d’un autre temps dans un entrechoquement cru, surréaliste et poétique. Car là est la démarche du réalisateur : injecter dans notre monde d’aujourd’hui les mythes d’hier. Et faire naître la réflexion. Il conçoit une trame habile et séduisante : une jeune lycéenne, Europe (Amira Akili), après sa rencontre avec un certain Jupiter (Sébastien Hirel), va découvrir, en s’enfonçant dans la nature, des histoires surprenantes et édifiantes qui la changeront à jamais. Segmenté en trois étapes, le film s’organise autour de rencontres pivots : Jupiter, Bacchus (Damien Chapelle) et Orphée (George Babluani) seront les trois figures masculines auxquelles Europe sera confrontée. Cinéaste du désir (en déclin dans Homme au bain, amoureux dans Les chansons d’amour, malsain dans Ma mère), Christophe Honoré caresse ici celui du mythe avec  son envie d’ailleurs et sa quête de sens.


La première apparition de Jupiter formalise la transposition contemporaine de récits antiques, au taureau blanc sous l’apparence duquel se dissimule le Dieu pour enlever Europe chez Ovide, succède un camion rugissant aux vitres teintées. L’animal emmenait la jeune fille loin de ses compagnes de jeu, le véhicule entraîne la lycéenne loin de ses camarades. De ces contrastes, le film fera sa marque. Jeans, baskets et débardeurs (bien que le nu soit de rigueur) sont les attributs vestimentaires de ces Dieux personnifiés auxquels on ne peut résister. « Il faudrait que tu me croies pour que ce soit profitable », ainsi débute la relation entre Jupiter et celle qui vient d’être happée dans une autre vision du monde. Ces paroles ont valeur de pacte aussi bien pour la jeune fille que pour le spectateur : il va falloir accepter d’être dérouté et détourné et se laisser guider dans cet étrange corps à corps avec des personnages malicieux et pernicieux. Cette expérience initiatique est aussi celle d’un langage et d’une diction, en particulier pour Jupiter, qui s’exprime, dans une certaine mesure, tel un personnage issu d’un film du dramaturge et cinéaste Eugène Green (Le Pont des Arts, 2004). C’est-à-dire dans un phrasé littéraire et posé, presque sentencieux. D’autres, au contraire, tranchent avec le classicisme et s’exprime dans le langage courant, comme Europe, ou Junon (Mélodie Richard) qui lance une insulte à Tirésias. Ces mélanges formels sont moins une cohabitation qu’une fusion, telle une métamorphose, entre les époques et les êtres.


La symbolique aquatique est d’ailleurs omniprésente, chaque personnage va, à un moment ou un autre, être au contact de l'eau. Christophe Honoré fait se succéder au début du film de nombreux plans de surfaces aqueuses (le film est tourné dans le Languedoc-Roussillon) : élément fondamental de la vie, l’eau est dans Métamorphoses  synonyme de pérennité (elle s’écoule en ces lieux depuis des siècles) mais surtout de changement, de mutation, de basculement. Ainsi, le couple âgé vient-il y mourir tandis que le pauvre Hermaphrodite y est piégé par la nymphe Salmacis dans une scène fidèle au récit d’Ovide. C’est encore avec de l’eau que Jupiter baptise à sa façon Europe avant de l’initier au plaisir. La scène d’Orphée et Eurydice est réinventée sous la forme d’une immersion sous-marine. Cela fait partie d’un ensemble plus large qui voit la nature communier avec ceux qui y vivent. Le vent balaye les herbes hautes, Europe enlace les arbres et leurs écorces, le végétal se fait sensation et acquiert une dimension mystique comme on peut le ressentir dans les films de Terence Malick. Toujours dans une approche poreuse, le film revient sans cesse aux pieds des tours de la cité d’où vient Europe et au loin s’entend souvent le son des voitures pendant une scène bucolique. Le temps comme l’espace topographique dialoguent et c’est du haut d’une tour que Narcisse paiera sa beauté lors d’une scène stylisée. 


L’invocation d’Ovide au début de son long poème est reprise au début du film et complétée à la fin: « Je me propose de dire les métamorphoses des formes en des corps nouveaux… ». Mise en exergue par Christophe Honoré, la phrase devient sienne, celle d’un réalisateur qui s’est saisi d’un contenu littéraire foisonnant qu’il transforme en un film hybride miroitant. Il rejoint Ovide sur la volonté de faire traverser au temps ces histoires lointainement proche. Des hommes et des femmes s’aiment, se jalousent, se déchirent, dans la forêt, au bord de l’eau ou sur une dalle de béton. Europe est une adolescente qui apprend, découvre et qui fondamentalement veut « vivre une histoire » comme elle l’écrit en lettres de pierre. Témoin de ces corps qui deviennent génisse, chauve-souris ou lion, il faudra à Europe choisir son destin. Sa métamorphose lui appartient.

Publié sur Le Plus du NouvelsObs.com


06/09/14               

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