mercredi 3 décembre 2014

► NIGHT CALL (2014)

Écrit et réalisé par Dan Gilroy


... Voracité au poing

Connu jusqu’à présent comme scénariste, en particulier du dernier Jason Bourne : l’héritage (2012) qu’il a co-écrit avec son frère, réalisateur de l’opus, Dan Gilroy franchit le pas en passant derrière la caméra, et de quelle manière ! En effet, son premier film se révèle d’une efficacité haletante et montre qu’au-delà de savoir raconter une histoire, puisqu’il signe son propre scénario, Dan Gilroy sait la mettre en scène. Il fait ainsi une entrée remarquée et sur les chapeaux de roues. Sa caméra embarquée nous fait passager de folles équipées nocturnes dans les rues de Los Angeles, suivant à la trace un reporter d’image spécialisé dans les faits divers spectaculaires et sensationnalistes. Lou Bloom, petit voleur de ferraille vénal, découvre par hasard cette activité choc où il faut être sans arrêt sur la brèche, conduire vite et filmer tout autant. Sans perspective florissante, il tente sa chance avec un simple caméscope. Car Lou a des idées et une volonté à toute épreuve. Il flaire là un moyen rapide et efficace de se faire une place, de devenir quelqu’un, quitte à se laisser dévorer par l’ambition et à laisser l’homme vorace qui sommeille en lui conquérir les écrans par ses images toujours plus impressionnantes. Car Night Call n’est pas seulement une course effrénée au scoop, le film, via le portrait du personnage principal, brosse un panorama terrifiant d’une société où les chaînes de télévision abreuvent un public en demande de surenchère. Dan Gilroy filme de façon acerbe et énergique l’exhibition télévisuelle pour en disséquer les rouages pervers et trompeurs dans un monde où la seule étique est celle de l’audimat.


« Cela doit être choquant » : voilà l’unique consigne que donne à Lou (Jack Gyllenhaal) la directrice des informations d’une des chaines locales de télévision de Los Angeles quand ce dernier se lance dans le reportage sur des faits divers. Lui qui était un voleur de grillages et de plaques d’égout va désormais gagner sa vie en volant avec sa caméra des images de drames quotidien comme les accidents de voitures et autres attaques à mains armées. Il a tout à apprendre, il adore ça : les cours de commerce qu’il a pris sur internet vont rythmer ses paroles comme ses actes. Il va appliquer une logique de rentabilité à cet univers qui s’y prête si bien. Le voilà qui se met à apprendre les codes radio de la police pour déterminer rapidement quel acte vient d’être commis et arriver premier sur place. Car la concurrence est rude, sur le terrain comme pour les chaînes d’information. A l’instar de la présentatrice sans scrupules jouée par Nicole Kidman dans Prête à tout (Gus Van Sant, 1995) ou de la journaliste carriériste Gale Weathers dans Scream (Wes Craven, 1996), Lou est un arriviste qui ne pense qu’à lui-même et qui utilise jusqu’à la moelle les autres, pourvu que cela aille dans son sens. Glaçante séquence de l’accident d’un de ses confrères : « Ne filme pas, c’est l’un des nôtres ! » lui lance son assistant, « C’est une vente » répond froidement Lou, caméra au poing pointée sur le corps ensanglanté. Son audace est insolente : le dîner auquel il invite Nina (Rene Russo), la productrice, tourne à une démonstration de force arrogante où il lui assène sa supériorité fraîchement acquise. Pour lui, tout est négociation, à son avantage. Cinglante scène où l’efficace jeu de Jack Gyllenhaal et les dialogues parfaitement ciselés instaurent un malaise face à l’inhumanité en marche.


L’arène médiatique a ses fauves et un nouvel entrant aux dents longues est ainsi en train de s’imposer dans ce film qui captive crescendo. Lou a l’instinct du chasseur et c’est ce qui va lui permettre d’être tout de suite raccord avec ce qu’on lui demande. « Mes reportages sont comme des animaux rares » dit-il, la comparaison n’est pas innocente : il est un prédateur excité par l’appât du sang qui veut dire rémunération. Pourquoi se fait-il remarquer dès sa première descente sur le lieu d’un accident ? Car il était au plus près du corps mourant et ce sont ces images là que veut Nina pour écraser la concurrence. Dan Gilroy filme d’ailleurs Los Angeles comme un terrain de chasse où un Lou avide de reconnaissance guette dans sa voiture l’annonce d’une proie intéressante sur le scanner de la police. La pleine lune qui règne fait de Lou un loup affamé de chair médiatique qui servira ses intérêts. L’assistant qu’il prend à son service n’est qu’un exécutant, l’empathie est systématiquement exclue de son système de pensée. Et il faut effectivement ne pas en avoir pour regarder, à travers sa caméra, une victime mourir. Nina se laisse convaincre et subjuguer par cet homme sans limite qui lui permet de faire grimper l’audience de sa case. Elle est de la même trempe que le personnage joué par Eva Mendes dans Live ! (Bill Guttentag, 2007) qui n’hésitait pas à lancer un jeu basé sur la roulette russe en direct à la télévision ; il faut l’entendre donner dans l’oreillette ses directives pour augmenter le pathos et accentuer la terreur.


Car c’est là aussi que réside l’intérêt de ce film savamment construit : pointer les raccourcis et les effets de manipulations dont usent ces rédactions pour créer l’évènement. Les crimes dont les victimes sont des gens blancs habitants les quartiers huppés sont la priorité et les nerfs de l’audimat. « A la télé, ça a l’air tellement réel » s’exclame Lou lorsqu’il découvre les plateaux et le décor en arrière-plan qui représente une vue de Los Angeles de nuit. Il va comprendre et vite mettre en pratique ces faux-semblants pour transgresser cette ligne jaune qu’il a si souvent franchie au volant de son bolide. Pour conserver un coup d’avance, Lou va donc travestir la réalité pour une bonne image. Si cela commence par le déplacement d’un corps pour un meilleur cadrage, c’est bien plus loin que sa soif d’ascension va le mener, au détriment de ceux qui auront le malheur de faire partie de son reportage. Il y a presque quarante déjà, le Network (1976) de Sidney Lumet avec Faye Dunaway dénonçait l’horreur médiatique et la pression d’une audience qu’on attise autant qu’elle dévore. Night Call sonne comme un rappel stupéfiant et pessimiste où la propagation d’informations biaisées semble inéluctablement irriguer chaque foyer. 
     

29/11/14   

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire