Réalisé par Ridley Scott ; écrit par Bill Collage, Adam Cooper et Steven Zaillian
... La conscience du meneur
En cette période de fête où la
chrétienté a célébré la naissance de son Messie, un autre de ses personnages
emblématiques est mis à l’honneur par le cinéma hollywoodien : Moïse,
l’enfant sauvé des eaux, devenu le meneur du peuple hébreu. L’usine à rêve a
souvent puisé son inspiration dans les récits bibliques, comme la peinture au
cours des siècles : la Bible est un formidable contenant d’histoires à
valeurs universelles et un inépuisable livre d’images évocatrices. La machine
hollywoodienne, peut, parfois à raison, faire craindre le pire quand elle
s’empare de ce genre de sujet. Mais récemment, Darren Aronofsky nous a montré,
en faisant de son Noé une tragédie shakespearienne,
qu’il était possible de ne pas se laisser dominer par le poids d’une figure
séculaire. Avec Exodus, Ridley Scott
fait de même en s’appropriant le personnage de Moïse sans le déposséder de ses
origines bibliques, auxquelles il reste plutôt fidèle. L’histoire est une de
celles les plus connues, car des plus fondatrices dans la religion catholique,
et le cinéma, avec un film mythique comme Les
Dix Commandements (Cecil B. DeMille, 1956), a en quelque sorte pris le
relai de la Bible pour la diffusion du récit dans l’inconscient collectif. Comme
l’indique précisément le titre, c’est de l’Exode
(deuxième livre de L’Ancien Testament) qu’est tiré le film de Ridley Scott ;
évidemment, même si le film fait 2h30, tous les épisodes ne sont pas racontés
et les ellipses sont les bienvenues. Ce qui confère une fluidité et une
efficacité à l’ensemble. Maître d’un récit gigantesque, Ridley Scott assemble
avec panache ce qui est la fresque d’un mouvement intérieur comme extérieur,
d’une avancée d’un homme comme d’un peuple aux prises avec le destin et le divin.
La puissance de l’armée
égyptienne éclate lors de la scène de bataille inaugurale. Filmée avec
savoir-faire comme une masse écrasante, l’armée exprime là sa domination
absolue et c’est pourtant au cœur de cette notion de groupe puissant, d’un
ensemble, que se dégage l’individualité. En effet, respectant en cela la
prophétie énoncée plus tôt, Moïse sauve Ramsès, le fil du Pharaon avec qui il a
grandi. Les deux prénoms sont d’ailleurs pour la première fois prononcés à
l’issue de cette scène, Ridley Scott vient, tout en subtilité, de nous faire
passer du général (le bloc armé) au particulier (deux destins). C’est ainsi que
procède le film : parler d’une multitude à travers une double mise en exergue.
Et le statut de Moïse est des plus complexes, ce que met particulièrement bien
en avant Exodus, puisque c’est un
hébreu élevé comme un égyptien. Le personnage de Christian Bale (visage marqué
et interprétation comme toujours inspirée) est aussi chevelu et barbu que celui
joué par Joel Edgerton (Ramsès parfait en monolithe inflexible) est chauve et
imberbe. Les deux hommes s’opposent physiquement avant de se défier
idéologiquement. Mais là encore l’affrontement est moins celui de deux hommes
(jamais ils ne combattront comme pouvaient le faire ad nauseam Les Duellistes, premier coup de maître
de Ridley Scott en 1977) mais ils se dresseront l’un contre l’autre par peuple
interposé. Ramsès durcit l’esclavage du peuple hébreu tandis que Moïse, avec la
main de Dieu, met à mal l’existence des égyptiens.
La souffrance est partagée et
c’est ce qui conduit à un des aspects les plus saisissants et intéressants du
film : le conflit entre Dieu et Moïse. Car ce dernier est dans une situation ambivalente : pour
sauver le peuple dont il se découvre membre, il doit voir souffrir ceux avec
qui il a grandi. Son empathie naturelle le distinguait déjà de son entourage. Sa
visite dans les carrières où sont exploités les hébreux, pour satisfaire les
exigences architecturales des dominateurs, va être un voyage vers le refoulé.
Les plans sur ces hommes boueux et peinant rappellent les photos des mineurs de
la Serra Pelada du photographe brésilien Sebastião Salgado vues dans Le Sel de la Terre (Wim Wenders, 2014).
A la déchéance de ces hommes, qui ne sont plus que des corps-outil, répond l’insolente
opulence du dirigeant égyptien local, tout en mépris et suffisance. Ridley
Scott choisit ce moment à dessein pour que soit révéler à Moïse les origines de
sa naissance. Sa venue sur ce lieu de perdition devient alors un lapsus
révélateur (Moïse s’est substitué à Ramsès pour cette mission). « Je sais que tu as des doutes depuis
longtemps ! » lui lance le vieux sage. A la faveur de l’obscurité, il est d’ailleurs
pris pour un hébreu : la vérité de l’inconscient était bien dans l’ombre.
Mais il n’oublie pas pour autant les égyptiens et s’offusque vivement quand
Dieu, pour faire plier Ramsès, envoie ce qu’on appellera les Dix plaies
d’Egypte. Véritables séquences de chaos où l’excellent travail sur les effets
numériques livre un cauchemar réaliste, seuls moments vraiment démesurés du
film.
Moïse hérite ainsi soudainement
d’un lourd tribut : un peuple martyrisé et un Dieu, auquel il ne croyait
pas (comme le forgeron de Kingdom of
Heaven (2005), du même Ridley Scott, se voyait endosser un destin impromptu).
Sa rencontre avec ce dernier sur la
montagne (le fameux buisson ardent) est un passage obligé dont on se délectait
à l’avance de savoir comment Ridley Scott allait filmer ce sujet imposé. Il
réinvente l’apparition de celui qu’on ne voit pas que par le visuel singulier
et sobre qu’il choisit. Moïse renait à lui-même dans cette scène anxiogène et
symbolique, paradoxalement d’une grande froideur. Le réalisateur prouve, s’il
était besoin, que si l’esprit de la Bible est là, le souffle dramatique lui
appartient. Il peut ainsi se permettre de ne jamais être dans la représentation
iconique mais de toujours bifurquer pour dire autrement ce qu’on sait déjà.
Moment de bravoure par excellence : la traversée de la mer Rouge. Décrit
dans la Bible (« Étends ta main sur
la mer, et fends-la », Exode, 14:16), peint (voir l’huile sur toile de
Chagall en 1955), filmé (célébrissime scène des Dix Commandements), l’épisode est le climax désiré. Fidèle à sa démarche
esthétique, Ridley Scott met en scène son épatante vision, moins spectaculaire
mais plus humanitaire, d’un homme et de sa conscience, meneur d’un peuple,
passeur de valeurs.
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
28/12/14
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire