Réalisé par Bennet Miller ; écrit par E. Max Frye et Dan Futterman
... Emprise en main
Découvert en 2005 grâce à son
premier film retentissant, Truman Capote,
qui valut à Philip Seymour Hoffman un Oscar, le réalisateur Bennet Miller a
pris son temps pour remplir la carrière qui s’ouvrait devant lui. Troisième
film en 10 ans, Foxcatcher est dans
la veine de ses deux précédents films biographiques. Les histoires vraies sont
sa matière de prédilection et il s’intéresse à des personnes qui ont tout de
personnages cinématographiques. Son précédent film, Le stratège, était une incursion dans l’univers du baseball via
l’arrivée d’un manager chargé de faire beaucoup avec très peu de moyen. C’est
un sport à nouveau qui donne sa trame de fond à Foxcatcher : la lutte. Moins populaire et pratiquée en France
qu’aux États-Unis où elle est très suivie, on en a beaucoup parlé en 2013
lorsque le CIO a mis dans la balance la présence de cette discipline aux J.O de
2020. Avant de finalement la réintégrer après un vote favorable. Et des Jeux
Olympiques il en est question dans Foxcatcher,
mais de ceux de 1988. En effet, nous suivons le parcours vrai de Mark Schultz
et de son frère Dave, tous deux médaillés d’or en 1984. Le plus jeune, Mark,
bien qu’il ne soit plus dans les mêmes dispositions qu’auparavant, s’entraîne
en vue de l’échéance. Jusqu’au jour où John E. Du Pont, issu d’une des familles
les plus fortunées des États-Unis, souhaite le rencontrer. Il a une mission
pour lui : remporter la médaille suprême. L’amour du sport n’est cependant pas la
motivation première du milliardaire : il voit en Mark l’homme capable de
redonner son essor au pays par l’exaltation des valeurs patriotiques. Mais
l’influence grandissante de John, gangréné par un idéal ambigu, va
dramatiquement bouleverser le destin des deux frères. Prix de la mise en scène
à Cannes, Foxcatcher est un film
intelligent qui entremêle lutte physique et combat psychologique dans un corps
à âme interprété par des acteurs magistraux.
Le contraste est saisissant entre
le modeste appartement que quitte Mark et la somptueuse demeure (une bâtisse
ressemblant à la Maison-Blanche au milieu d’un domaine gigantesque) de John du
Pont. La gouvernante hésite d’ailleurs à faire rentrer le sportif. C’est que
Mark (Channing Tatum, maîtrisant un corps musculeux et un côté adolescent)
détonne dans ce monde aux antipodes de la vie plutôt terne qu’il mène : il
a beau avoir gagné une médaille d’or quatre ans plus tôt, seuls les objets
souvenirs témoignent encore de cette réussite oubliée des autres (rappelant
Mickey Rourke dans The Wrestler). John,
précisément, n’a lui pas oublié. Les compliments passés, c’est presque un
programme politique qu’il expose à un Mark un peu pataud. Le voilà devenu
malgré lui un symbole en devenir, un exemple de réussite à force de travail et
de conviction comme l’Amérique aime en voir émerger. John, bannière étoilée
encadrée au-dessus de son bureau, se voit comme un pygmalion : « Je veux vous voir gagner une
médaille, c’est pour cela que vous êtes là ». A la sombre salle
d’entrainement succède un espace magnifique et tout équipé : l’entreprise
de séduction a fonctionné. Et au-delà des moyens matériels et financiers, Mark
est convaincu par cet homme qui lui offre le moyen d’accéder à une
reconnaissance perdue. L’emménagement sur le domaine de Foxcatcher (qui est
aussi le nom de l’équipe) marque une rupture avec sa vie d’avant tout autant
que son appropriation par John qui a réussi à le couper de son seul
repère : son frère.
« Vous
ne pouvez pas continuer à vivre dans l’ombre de votre frère » assène
John à un Mark attentif. Le milliardaire a bien compris la rancœur sourde qui
étreint son protégé et il se sert de ce ressenti pour galvaniser subtilement
Mark. Cette discordance entre les deux frères est parfaitement exprimée lors
d’une des premières scènes qui les montrent à l’entrainement : le
caractère progressif de la lutte, qui passe de l’échauffement à l’affrontement
agressif, contient cette tension en latence. Le cadet n’a pas autant marqué les
esprits que son aîné ; d’ailleurs, la secrétaire de l’école où il est venu
parler de son parcours le confond avec Dave. « J’ai l’impression qu’on lui attribue tout ce que j’ai fait »
déplore-t-il à un John qui l’a amené à se confesser. Paradoxalement très proche
physiquement, puisque partenaires d’entrainement, c’est l’éloignement qui
domine. Dave (Mark Ruffalo, convaincant de bout en bout) est celui qui tente de
renouer la communication avec un petit frère pour qui il a de l’affection.
Qu’il lui transmet comme il peut, à l’instar de la scène dans le couloir de
l’hôtel où il apaise une dispute en lui expliquant une prise de lutte. Mais l’émancipation
du plus jeune, forgée par John, est fragile et une simple décision de sa part
peut ramener le chaos.
C’est Steve Carell qui incarne
brillamment ce personnage trouble, l’acteur, plus habitué aux comédies (Crazy Night, Little Miss Sunshine) qu’aux drames, est épatant dans le rôle de
John. Il lui confère un caractère, un phrasé trainant et une attitude proche
d’un certain autisme qui marquent. Bennet Miller sait choisir et diriger ses
acteurs : on se souvient de la performance de Philip Seymour Hoffman dans Truman Capote. John du Pont instaure une
relation triangulaire qui n’a pour but que de servir ses intérêts et d’exister
comme un vainqueur aux yeux de sa mère. Car là aussi, il y a le poids de la
famille, ce que la réalisation de Bennet Miller va particulièrement mettre en
avant dans les scènes se déroulant au domaine. John vit dans les reliques de la
glorieuse histoire de sa dynastie, toisé sans cesse par les portraits de ses aïeux
et nargué par « la salle des trophées » où siègent les triomphes des
chevaux de sa mère. Lui aussi veut ses victoires et l’admiration d’autrui, s’il
met en avant les valeurs de son pays, c’est pour se hisser en modèle.
Capricieux et narcissique, il se rêve entraineur comme il avait pu se voir chef
de gare avec le train miniature de son enfance (éloquente discussion avec sa
mère), son nouveau jouet est une équipe de lutteurs. Mais n’est pas le
charismatique Frankie qui veut (Million
Dollar Baby). L’histoire vraie du destin de ces trois hommes est filmée
dans toute sa saisissante tragédie par un Bennet Miller qui fait de Foxcatcher un combat où, à travers la
lutte des corps, s’espère la prise de valeurs.
Publié par Le Plus du NouvelObs.com
Publié par Le Plus du NouvelObs.com
24/01/15
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