mardi 10 mars 2015

► CHAPPIE (2015)

Réalisé par Neill Blomkamp ; écrit par Neill Blomkamp et Terri Tatchell


... L'éducation sentimentale

Les robots de Neill Blomkamp sont de retour ! S’il ne s’agit pas d’une trilogie à proprement parler, ce troisième film du réalisateur sud-africain entretient néanmoins des liens étroits avec ses précédents opus. Chappie lui permet de poursuivre sa réflexion sur le rapport entre humains et créatures qui ne  le sont a priori pas, en l’occurrence des droïdes, à travers la confrontation des corps faits de chair et ceux constitués de métal. Propulsé sur le devant des écrans grâce à Peter Jackson qui a produit District 9, son premier et intelligent long-métrage, Neill Blomkamp est resté fidèle à ses thématiques et à un univers de science-fiction robotique. Les créatures humanoïdes font partie des sociétés que dépeint le réalisateur : soit pour en être exclues (les extraterrestres de District 9), utilisées à des fins militaires (Elysium) ou en remplacement des forces de police (Chappie). Au-delà des effets spectaculaires que produisent ces films, le réalisateur reste préoccupé par les formes que peut prendre l’évolution de l’humain et de ses créations dans un monde en mutation. Comme dans ses films précédents, Chappie met en scène une instance dirigeante chargée de veiller sur une société où a eu lieu de profonds changements. Ce sont les unités robotiques d’une entreprise privée d’armement qui ont pris la place des forces de l’ordre : infaillibles et redoutables, ces agents d’acier sont un rempart au chaos. Leur inventeur, Deon, veut aller plus loin et doter ses machines d’une conscience, ne plus en faire des exécutants mais des êtres pensants. Ce à quoi s’oppose sa hiérarchie. Il s’attire également la haine de Vincent, un ancien militaire qui a créé un robot destructeur qu’il peut contrôler avec la pensée mais dont personne ne veut entendre parler. Deon décide alors de tester sur un modèle endommagé son programme informatique révolutionnaire. Sa créature en titane va dépasser ses espérances mais également faire naitre des enjeux surprenants ayant trait à la conscience humaine. Sérieux et bariolé à la fois, Chappie a un côté excentrique assumé, mais sous des allures parfois désinvoltes, le film mène une vraie réflexion sur l’être et la machine jusqu’à questionner l’âme.


Les robots de Deon (Dev Patel) et Vincent (Hugh Jackman, qui en avait déjà côtoyés dans Real Steel) sont à leur image : les droïdes sont élancés et racés tandis que l’Original (nom de la machine de guerre de Vincent) est une masse aux couleurs militaires. Deon est un jeune ingénieur enthousiaste, Vincent est plein de rancœur : l’opposition classique entre le scientifique et le militaire est à l’œuvre avec un côté caricatural tel qu’on pouvait le trouver dans Avatar. Sigourney Weaver incarne d’ailleurs la directrice de la société qui emploie Deon, son rôle reste néanmoins anecdotique et on espère la revoir, sous une forme ou une autre, en Ripley dans Alien 5 dont Neill Blomkamp vient d’être désigné comme réalisateur. Car ce qui intéresse le cinéaste est moins cet affrontement que la métamorphose qui va animer Chappie (joué en motion-capture par l’acteur fétiche du réalisateur, Sharlto Copley). Là où Vincent veut garder le contrôle sur son robot, Deon offre au droïde l’autonomie qui est celle de l’humain. Constitué de pièces détachées suite à sa mise au rebut, celui qui n’est encore que le numéro 22, est donc remonté par Deon. L’analogie avec Frankenstein est de mise, surtout lorsque l’ingénieur s’écrit « Il est vivant ! ». L’installation du programme informatique capable de produire une conscience équivaut à une naissance : « Je suis ton créateur, je t’ai donné la vie » explique-t-il à celui qui est baptisé « Chappie » (en anglais familier : gars). Il a désormais une identité propre. Cet acte créateur futuriste nous rappelle celui, ancestral, de Dieu dans la Bible : « Il souffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant » (La Genèse, 2,7). Mais une conscience s’acquière et évolue : Chappie en fera la douloureuse mais aussi amusante expérience.


Car c’est une étrange famille qui va élever le droïde doté de pensée : enlevé par une bande de malfrats hauts en couleurs qui veulent en faire leur atout pour un braquage, Chappie va être confronté à ses premiers conflits intérieurs. Composé du leader Ninja, de sa petite amie Yolandi et de leur compère Amerika, ce gang déjanté et loufoque sera un foyer initiatique pour le robot. Ninja choisit la manière forte pour propulser Chappie dans le vrai monde : il l’abandonne face à une bande de voyous dont il ne peut comprendre l’agressivité. Le droïde a l’état de conscience d’un enfant et cette scène violente déclenche ce qui ne quittera plus le spectateur : une empathie forte pour Chappie. C’est là une réussite évidente de Neill Blomkamp, qui, comme dans District 9, nous rend attachant cet être de métal, de par ses attitudes et sa voix, il fait naître l’émotion. Yolandi préfère la douceur, cette femme-enfant peroxydée devient vite une maman dans un hangar aux allures de pouponnière punk. Interprété par les membres d’un groupe de musique sud-africain, étendard de la contre-culture, ce couple de parents improbables s’avère finalement en adéquation avec un Chappie qui est lui-même différent des autres et donc au banc d’une certaine société. Comme Robocop, auquel on songe : pas tout à fait une machine et pas tout à fait un humain.


Chappie est dans la lignée des enjeux développés dans l’excellente série suédoise Real Humans où des androïdes acquièrent progressivement un système de pensée comparable aux humains grâce à un code informatique. « Chappie existe ! » prononce d’ailleurs le robot lorsque Vincent s’en prend à lui : c’est la naissance du sentiment, en l’occurrence la peur, qui fait basculer celui qui n’a désormais de machine que l’apparence,  dans une humanité inédite. Ce cri résonne tel le « Cogito ergo sum » (Je pense, donc je suis) de Descartes. Malgré des facilités et des raccourcis scénaristiques, le film questionne l’intelligence artificielle dans la grande tradition de la littérature de science-fiction (Asimov) ou cinématographique : comment ne pas évoquer Ghost in the Shell, le diptyque de Mamoru Oshii étant une somme fascinante sur le sujet. Neill Blomkamp se nourrit de cela en évitant l’étouffement : il retrouve dans Chappie le Johannesburg de son premier film comme pour ne jamais oublier ce qui a irrigué sa propre conscience et comment le poids des différences peut être dommageable. Sur un ton relativement plus léger que ses deux précédentes réalisations mais toujours avec un sens formidable du visuel, le cinéaste envisage, après l’hybridation de District 9 et l’exosquelette d’Elysium, une nouvelle forme de conscience, à la croisée de l’humain, de l’informatique et de la robotique. Électrisante expectative.  
 

07/03/15

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