mercredi 25 mars 2015

► STILL ALICE (Oscar Meilleure actrice)

Réalisé et écrit par Wash Westmoreland et Richard Glatzer, d'après l'oeuvre de Lisa Genova


... Les souvenirs en fuite


Voilà donc le film qui a permis à Julianne Moore d’être sacrée Meilleure actrice à la dernière cérémonie des Oscars, ce prix suprême couronnait une liste de pas moins 9 récompenses pour son rôle d’Alice, une femme atteinte d’un Alzheimer précoce. Still Alice a été réalisé et co-écrit à deux mains par un couple : Wash Westmoreland et Richard Glatzer, ce dernier étant malheureusement décédé quelques jours après la remise de l’Oscar à Julianne Moore. Adapté d’un roman de Lisa Genova, le film traite avec pudeur d’une maladie dont on ne guérit pas, encore mal connue il y a quelques années mais dont on prend de plus en plus conscience. Si certains films peuvent  y faire allusion, rares sont ceux qui en font leur sujet principal. Se souvenirs des belles choses (2002) avait abordé avec tendresse les troubles mémorielles tout comme Amour (2012) avait marqué en nous faisant partager le quotidien d’un couple âgé dont la femme avait, entre autres, des pertes de souvenirs. Et de la vie de tous les jours, il en est précisément question dans Still Alice car cette dernière est une femme active qui vient de fêter ses 50 ans et qui, comble de la maladie, est une spécialiste des sciences cognitives. La précocité des symptômes provoque d’ailleurs une phase de rejet de la part de son entourage avant que le diagnostic n’assomme les espoirs. Comment faire face à la vie quand on sait l’inéluctabilité d’une situation ? Comment avancer malgré tout et maintenir le lien avec sa famille ? Ce sont toutes ces questions que le film aborde sans misérabilisme en resserrant l’histoire autour du noyau familial, cocon protecteur qui est une des forces d’Alice. Porté par une Julianne Moore sobre et touchante, Still Alice est un film lumineux sur un sujet difficile.


« C’est le travail de toute une vie qui disparaît ! » s’exclame Alice quand elle prend conscience de ce qui lui arrive : tout ce que son cerveau a engrangé durant 50 ans est donc en train de mourir à petit feu. C’est pourtant le seul moment où cette linguiste de profession se laissera aller : c’est le portrait d’une femme digne et courageuse que dressent les deux réalisateurs. L’ironie du sort veut que la maladie s’abatte sur celle qui avait fait des mots sa spécialité : la scène qui la montre faire sa conférence sans notes aura pour écho celle où, la maladie s’étant installée, elle devra surligner chacune des phrases pour être sûre de ne pas se relire sans le savoir. Le film montre une progression rapide des pertes de mémoire, ce que la réalisation traduit par des effets de flou comme lors de la scène où Alice s’égare en faisant son jogging : son environnement perd sa netteté comme sa mémoire s’éclipse. Déterminer à retarder le processus, Alice entraîne son cerveau comme un muscle à qui il faudrait redonner de la vigueur. La préparation du repas de Noël devient un exercice où il faut retrouver des mots mais se souvenir de la recette peut aussi devenir une épreuve. C’est ce quotidien qui donne au film sa fraîcheur, sans emphase, il nous accroche à cette femme et à ses proches et n’élude pas les conflits sous-jacents, comme celui qui oppose Alice et Lydia, la benjamine dans cette famille de 3 enfants.


En effet, la mère et la fille ont une relation compliquée : Alice voulant à tout prix que sa fille, actrice de théâtre, fasse des études à la fac, elle est le vilain petit canard qui a préféré l’artistique au droit et à la médecine comme sa sœur et son frère. Cette différence de point de vue est paradoxalement ce qui va rendre leur rapport plus riches : les autres sont sur des rails tandis que Lydia a encore cette liberté du conflit. Elle veut choisir sa destinée alors que sa mère est précisément sur le point de perdre ce libre-arbitre. Car la maladie la contraint à être de plus en plus dépendante : son téléphone devient une boussole pour chaque évènement de la journée, son mari (Alec Baldwin) l’aide à s’habiller et le temps perd de sa notion. C’est Kristen Stewart, récemment césarisée, qui interprète avec aisance une Lydia qui, si elle est touchée par ce qui arrive à sa mère, n’en perd pas pour autant son caractère, comme lorsqu’elle reproche à sa mère d’avoir lu son journal intime. Ce contrepoint à la maladie donne de la consistance à un drame qui ne se laisse pas dominer par la compassion. C’est avec elle qu’Alice a le plus de conversations, en particulier par ordinateurs interposés car Lydia vit loin de la maison. Cette distance géographique fait écho à leur divergence d’opinion mais scande également un lien fort. Car bien qu’éloignée, c’est elle qui s’inquiète du fait que sa mère se retrouve seule un après-midi. Alice n’hésite d’ailleurs pas à se servir plus ou moins de sa maladie pour convaincre sa fille de rentrer dans le rang, non sans humour. C’est aussi la force du film : privilégier les bons moments sans occulter le déclin, ce que Julianne Moore arrive à nous transmettre avec tact et grandeur.


Sa prestation dans Maps to the stars (2014) avait déjà été unanimement saluée et lui avait valu le prix d’interprétation féminine à Cannes l’année dernière.  Son Oscar pour Still Alice récompense une actrice qui a su faire évoluer son interprétation avec la situation de son personnage, tant mentalement que physiquement. Le film met en scène une perte, de soi, des repères, d’un monde connu qui devient soudainement étranger et Julianne Moore le fait ressentir dans un regard qui s’enfuit, à travers un corps au ralenti, par des mots qui refusent de sortir de sa bouche. Son personnage est une belle femme, bien habillée et soignée à la chevelure impeccable. Le déclin d’Alice passe par une négligence de l’apparence : l’actrice apparaît les traits tirés, le maquillage a laissé place à un visage plus terne mais aussi plus vrai, la coiffure n’a plus la tenue des débuts. Mais Julianne Moore fait conserver à son personnage, pour lequel on sent son empathie, ce sourire et une certaine lueur que n’a pas réussi à éteindre la maladie. « C’est l’enfer. Mais je ne souffre pas, je lutte » : ces mots d’Alice ne disparaîtront pas : ils sont ceux d’un film qui participe à la rémanence contre la perte de l’essence.

Publié sur Le Plus du NouvelsObs.com


22/03/15          

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