lundi 4 mai 2015

► EVERY THING WILL BE FINE (2015)

Réalisé par Wim Wenders ; écrit par Bjørn Olaf Johannessen 




... Fenêtres sur vies
 

Il faut remonter à 2008 pour trouver le dernier film de fiction du réalisateur allemand Win Wenders. Il n’est cependant pas resté inactif durant cette période, au contraire, il est revenu au documentaire : l’un en 2011 pour son ode aux corps mouvants et à la chorégraphe Pina Bauch, malheureusement disparue en 2009. Le second sur un autre artiste, photographique cette fois : Sebastião Ribeiro Salgado dont il a filmé le travail et recueilli les propos. Wim Wenders est un cinéaste curieux pour qui le cinéma est un terrain fertile dont il exploite les techniques pour les faire siennes et ainsi renouveler l’approche de ses thèmes. Il n’est alors pas étonnant qu’il ait décidé de tourner Every thing will be fine en 3-D. Qui a dit que ce procédé, ressuscité et amélioré il y a quelques années maintenant, était l’apanage des blockbusters ? Nous sommes loin du spectaculaire inhérent à ces productions : confronté au syndrome de la page blanche, un écrivain, qui s’est isolé sur un lac gelé, fait la rencontre d’une femme, Kate, dans des conditions tragiques. En effet, il renverse et tue par accident l’un de ses fils qui faisait de la luge. Cet événement va être pour lui un déclencheur dans sa carrière littéraire. Mais si l’inspiration fait à nouveau partie de son existence, est-ce vraiment le seul bouleversement ? A-t-il conscience de l’importance que cet accident continue d’avoir sur son présent ? Se déroulant sur une dizaine d’années, le film est une réflexion comme Wim Wenders les affectionne, avec la poésie qui est la sienne, un rythme mesuré et un sens de l’image pointu, il élabore le récit d’une filiation, entre les êtres, les lieux, les évènements.  Every thing will be fine ouvre des fenêtres sur des vies qui devront appréhender leur ressenti pour espérer éprouver une sérénité égarée.


Wim Wenders arrive à allier le fond et la forme avec une finesse séduisante, sa démarche s’articule autour d’un motif récurent qui est celui de la fenêtre : Tomas (James Franco) commence par tirer le rideau de sa cabane de pêcheur sur le lac, geste qui découvre le paysage et qui inaugure une frontière de verre qui n’aura de cesse d’encadrer les personnages. Tous y sont comme retranchés (Tomas se réfugie dans sa voiture après l’accident, Kate lit son livre près de la vitre, la femme de Tomas est au téléphone derrière une fenêtre), à l’abri mais isolés dans un cocon intérieur que l’extériorité (l’accident) vient fissurer. Car la fenêtre confine comme elle peut être signe d’ouverture : lors de la conversation téléphonique entre Tomas et Kate (Charlotte Gainsbourg) à la faveur de la nuit, Kate fait passer le combiné du dedans au dehors via la fenêtre. Ce qui annonce d’ailleurs une rencontre dépourvue d’obstacle. Le réalisateur use les ressources du montage pour abolir mentalement une distance physique (ils ne sont pas au même endroit) en faisant se superposer les images dans un mouvement fluide. Il installe ainsi ce qui sera la relation entre ses deux personnages : quelque chose de diffus entre présence et absence, proximité et éloignement (Tomas revient sur les lieux du drame mais finit par prendre ses distances). Cette géographie s’apparente à un espace mental qui perdure : les lieux peuvent changer (la nouvelle maison de Tomas) mais les souvenirs du passé s’incarneront à nouveau via l’ouverture d’une porte vitrée dont le franchissement ou non déterminera l’avenir.


Le travail sur ce motif est d’autant plus prégnant par l’utilisation de la 3-D. Wim Wenders l’avait testée pour la première fois lors du tournage de Pina et fait figure, avec Every thing will be fine, d’exception dans l’utilisation de cette technique par le cinéma d’auteur. Même si Godard s’y ait également mis avec Adieu au langage (prix du jury ex-aequo à Cannes 2014), cela reste malgré tout pour l’instant pratiquer en grande majorité par les superproductions. Or, le réalisateur prouve ici tout l’intérêt que peut aussi avoir le relief dans une utilisation non-intrusive : les choses ne surgissent pas de l’écran mais viennent l’habiter d’une autre façon, lui donne une consistance avec ce qui pourrait s’apparenter à l’empattement en peinture (Kate est d’ailleurs illustratrice et Wim Wenders cite visuellement Hopper lors de la scène du café entre Tomas et Christopher). Ces volumes qui s’incarnent ont un pouvoir attractif car ils nous rendent sensible le volatile (poussière, neige) et la texture (écorce, bois de la clôture de Kate). Les personnages, par leur épaisseur dimensionnelle, nous semblent plus proches, ce qui va dans le sens d’un film sur le trauma et la sensation. Car le spectateur est comme enveloppé avec eux dans cette traversée de vie (le plan final explicitera cette connivence) : les objets en amorce ne sont pas juste des effets, ils nous incluent dans l’action, on ne regarde plus, on partage.


La question du partage est également ce qui parcoure le film puisque Tomas (qui est littéralement à la croisée des chemins) éprouve des difficultés dans sa relation personnelle avec sa femme et doit faire face à la vieillesse de son père (joué par Patrick Bauchau). Mais surtout : que doit-il ressentir face à Kate et Christopher ? La froideur qui était celle du paysage inaugural semble avoir gagné son cœur, cet accident qui, précisément, s’est passé hors-champ, était comme les prémisses d’un refoulement, qui mieux que Christopher peut alors faire resurgir ce qui peut être une émotion bienfaitrice ? Constant dans son désir esthétique et dramatique, Every thing will be fine se révèle talentueusement comme une thérapie intimiste et sensitive.


25/04/15 

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