mercredi 20 mai 2015

► LA TÊTE HAUTE (Ouverture Festival de Cannes 2015)

Réalisé par Emmanuelle Bercot ; écrit par Emmanuelle Bercot et Marcia Romano


... Les nerfs en l'air

Prestigieuse vitrine à double tranchant que de faire l’ouverture du Festival de Cannes : c’est à cet honneur que s’est trouvée confronter la nouvelle réalisation d’Emmanuelle Bercot, La tête haute. Même s’il est présenté hors compétition, le film va à coup sûr marquer d’entrée le Festival d’une façon forte et brutale. La réalisatrice n’y est pas une inconnue : repérée dès ses  débuts (son court métrage Les Vacances y obtient le prix du jury en 1997), elle fait preuve d’une constance dans l’approche des histoires qu’elle met en scène. L’adolescence et le rapport au monde adulte tient ainsi une place fondamentale et se trouve au cœur de La tête haute. On va y suivre la difficile existence d’un mineur à la dérive entre une mère aimante mais immature et irresponsable, les différents centres d’accueil et de placements et les entrevues régulières chez la juge des enfants, qui tente d’offrir à ce jeune une vie qu’il n’a de cesse de mettre en péril. Malony est ce qu’on pourrait appeler un petit délinquant : s’il a bien commis des vols avec violence, il est surtout une boule d’énergie négative, ce qui complique ses relations avec les autres et en particulier avec l’autorité. En échec scolaire, il est au point mort concernant son avenir. Forte tête, il adore sa mère qui est cependant incapable de gérer un tel ado, étant elle-même un modèle peu recommandable. Inscrivant son propos dans une veine sociale marquée, Emmanuelle Bercot tisse un drame exutoire entre des personnages qui se heurtent pour mieux se rencontrer. Les éclats surgissent à tout instant dans ce parcours nerveux où l’affect est une brèche qui révèle des sentiments tortueux.


Le tribunal de grande instance de Dunkerque est un des lieux récurrent du film, et en particulier le bureau de la juge pour enfant qui jalonne la vie du jeune Malony. Il n’est qu’un enfant quand sa mère l’y abandonne après une crise de nerfs. Cette scène inaugurale, particulièrement bien traitée, pose les enjeux et les protagonistes que l’on retrouvera par la suite. La réalisatrice choisit un montage sec et fébrile qui accompagne l’énervement qui règne dans le bureau, tout en préférant cadrer l’enfant au détriment de la mère. Malony est le témoin d’une mère qui a déjà renoncé à son rôle tandis que seule la voix de la juge se fait entendre dans un premier temps, ce qui est important puisqu’elle sera tout au long du film celle qui, précisément, dira l’autorité et la justice, d’un ton ferme mais mesuré. Les caractères et les situations ne sont là que conflit : le mal être couve et ne fera que s’amplifier. La juge devient ainsi une sorte de mère par substitution, celle qui impose le respect et pose les règles. C’est d’ailleurs bien la seule à qui Malony semble porter un certain respect : elle sait lui imposer un comportement presque respectueux à son égard. Les scènes récurrentes dans ce bureau sont parmi les plus réussies et les plus poignantes. Catherine Deneuve (qui était le personnage principal du précédent film de la réalisatrice, le road-movie Elle s’en va) est formidable dans ce rôle qui demande une stature et un aplomb. On ressent son empathie pour celui qu’elle voit (mal) grandir, entre espoir et déception, la juge ne ménage pas ses efforts : « Nous posons les rails mais c’est à eux de conduire la locomotive ». Co-scénariste du Polisse de Maïwenn, Emmanuelle Bercot retrouve l’univers voisin de celui de la brigade des mineurs avec ses situations familiales détériorées mais centre son film sur le cas de Malony où bouillonne la rage.


Avec La tête haute, la réalisatrice va assoir sa réputation de découvreuse de talent puisqu’après avoir lancé Isild Le Besco, elle offre au jeune Rod Paradot un rôle énergique et consistant qui lui permet d’imposer son jeu détonant. Malony ne sait pas gérer ses émotions, il suffit d’une étincelle (comme la remarque de la directrice du collège) pour déclencher un accès de colère violent alors même qu’il était calme auparavant. Ce comportement n’est pas sans nous rappeler celui de Steve dans le Mommy de Xavier Dolan. Avec ce personnage qui, ne se trouvant pas s’en prend aux autres, Emmanuelle Bercot s’inscrit dans la lignée du Petit voleur (1999) d’Erick Zonca, premier film de Nicolas Duvauchelle dont Rod Paradot ressemble d’ailleurs au même âge. La patience des éducateurs est mise à rude épreuve : ils sont le réceptacle de la fureur de Malony, qui, comme les autres jeunes qu’il côtoie dans les centres, est toujours dans la provocation, dans le besoin de se mesurer à l’adulte pour exister dans une répartie vociférante. Il alterne des phases d’attention et d’explosion, la séquence de l’écriture de la lettre de motivation illustre bien ce tempérament volcanique. Le film prend d’ailleurs le temps de souligner la difficulté du travail de ces éducateurs. Malony peut ainsi se montrer excessif comme plaintif : il faut le voir ému aux larmes lorsqu’il est séparé, à plusieurs reprises, de sa mère. Rares moments où s’exprime enfin une fragilité confinée. Comment peut-il alors réagir au surgissement du sentiment amoureux que va lui renvoyer une rencontre ?


Car les personnages qui gravitent autour de Malony sont tels des miroirs de vie, chacun incarne à sa façon une facette d’un manque, d’un désir ou d’une crainte. La juge est cette figure maternelle autoritaire mais conciliante (ne vient-elle pas partager un gâteau d’anniversaire avec Malony ?) que ce dernier redoute et espère. Sa mère (Sara Forestier retrouve là une fraicheur de jeu qui fait plaisir à voir) est l’image de ce qu’il ne doit pas reproduire, source d’amour comme de reproches. Yann (Benoît Magimel), l’éducateur qui travaille avec la juge se meut en figure paternelle, lui, ancien délinquant également qui interroge les limites du possible. Ou encore ce bref passage où Malony réconforte un nouvel arrivant au centre, se revoyant dans cette situation. Enfin, Tess (Diane Rouxel), la jeune fille qu’il rencontre et qui le met face à ce qui sera peut-être le plus dur : l’existence en lui d’un ressenti plus fort que la haine. Mais les impulsions peuvent-elles si facilement faire place à l’émotion ? Cinquante-six ans après le célèbre Quatre Cent Coups de François Truffaut, Emmanuelle Bercot visite une jeunesse difficile actuelle avec un sens incisif de l’immersion et de la confrontation. La tête haute est dans l’épicentre des remous de l’adolescence où tout se joue et se dénoue dans le face à face d’une existence et d’une conscience.

Publié sur Le Plus du NouvelObs.com

14/05/15      

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