Réalisé par Guillermo del Toro ; écrit par Guillermo del Toro et Matthew Robins
... Romance sanguine
Membre du jury au dernier
festival de Cannes, Guillermo Del Toro nous revient en réalisateur avec Crimson Peak et dans une atmosphère
radicalement différente de son précédent film qui mêlait action et
science-fiction, Pacific Rim (2013).
En effet, l’univers futuriste de ce dernier contraste avec l’époque victorienne
dans laquelle se déroule l’histoire. C’est la première fois que le réalisateur
mexicain explore le XIXème siècle, lui qui a en revanche à deux
reprises situé des films pendant la guerre d’Espagne (L’échine du diable et Le
labyrinthe de Pan). Un film en costumes donc, auxquels le cinéaste va intelligemment donner des
fonctions dramatiques. Guillermo del Toro va puiser dans cette période de
nombreux motifs qui sont autant de fils d’une toile qui constitue une œuvre
homogène où les humains et toute sorte de créatures finissent par se faire
face. Les films du réalisateur constituent ainsi un bestiaire surprenant et
fascinant où se croisent des vampires (Blade
II), des insectes mutants (Mimic)
ou encore un faune (Le labyrinthe de Pan).
Une galerie monstrueuse qui ne contient pas que des entités surnaturelles aux mauvaises intentions : le personnage
d’Hellboy dans le diptyque éponyme
est ainsi allié aux humains. Et dans Crimson
Peak, les fantômes qui rôdent autour de la jeune Edith semblent vouloir la
mettre en garde. La romancière américaine en herbe est-elle donc en
danger ? Tout semble pourtant lui ravir : Thomas, un baronnet venu
d’Angleterre, tombe sous son charme et celui de sa plume. Malgré des événements
dramatiques, Edith, devenue l’épouse de Thomas, s’installe avec lui dans le
manoir familial, perdu sur une lande désolée. Ils y retrouvent Lucille,
l’omniprésente sœur de Thomas, aussi lugubre que la demeure. Dans ce ménage à
trois, Edith est prise en tenaille par un frère et une sœur pernicieux. Doit-elle
avoir peur des fantômes ou tenter de comprendre leur message ? Quand
Guillermo del Toro s’essaye à la romance, celle-ci se révèle sanguine, il met
esthétiquement en scène un mélodrame gothique à l’horreur flamboyante.
« Les fantômes existent » : l’affirmation d’Edith ne laisse
pas place au doute, surtout que ces mots proviennent du premier plan, qui s’avère
être un flashforward, à savoir que l’image qui nous est montrée appartient à un
moment ultérieur du film. Comme au début du Labyrinthe
de Pan. Outre l’effet d’attente provoqué, ce montage instaure l’étrangeté
et l’inquiétude puisque qu’Edith (Mia Wasikowska, vue chez Tim Burton dont
l’esprit plane sur le film) nous apparaît ensanglantée. Première occurrence
d’un motif (la couleur rouge) que le réalisateur va décliner tout au long de
l’histoire avec minutie (le tire du film étant déjà une allusion). Ce rouge
passion est intimement lié au rouge sang : il caractérise le personnage de
la sœur (Jessica Chastain en beauté froide) dès sa première apparition au bal
lorsqu’elle joue du piano dans une robe vermeille (Edith portera en revanche
souvent une robe jaune, couleur de la vie). On retrouve cette teinte sur divers
objets signifiants, en particulier la bague de mariage, que Thomas tient de sa
mère, ou encore la balle avec laquelle Edith fait jouer son chien. Mais ce sont
littéralement les terres du manoir qui suintent de l’écarlate : situés sur
des carrières de glaise que Thomas (Tom Hiddleston) veut extraire, la propriété
et ses abords prennent la couleur de son sous-sol. L’allée qui mène à la
demeure à la couleur de la terre battue et le parquet laisse s’échapper un
liquide vermillon. Cette résurgence des bas-fonds contient dans sa
manifestation ostensible la conscience macabre du lieu et qui s’incarne pour
Edith sous forme de fantômes saignants. Le huis clos qui alors commence
transforme l’amour inaugural en un quotidien bancal et déliquescent.
L’atmosphère mortuaire semble atteindre Edith dans sa chair même puisqu’elle se
met à régurgiter du sang, comme si l’extériorité déteignait sur son
intériorité.
Crimson Peak est ainsi un film aux décors et aux couleurs
particulièrement soignés, il faut dire que Guillermo del Toro a débuté dans les
effets visuels et a conservé cet œil aiguisé pour habiller et éclairer ses
plans. La première partie dans la maison d’Edith et son père est traversée par
une lumière chaude et feutrée qui correspond au sentiment de sécurité et de
bien-être qui est le leur dans cette vie douillette. Le cinéaste se plait
néanmoins à y faire émerger l’horrifique par petites touches, comme avec le
fantôme de la mère d’Edith ou la scène du parc lorsque des fourmis qui dévorent
un papillon deviennent, par l’utilisation du gros plan, monstrueuses. Avec le
basculement que représente l’installation dans le manoir de Thomas et Lucille,
le conte romantique vire à l’horreur, le fantôme à l’ombre héritée du Nosferatu de Murnau devient un corps
d’écorché et c’est alors du côté du Shining
de Kubrick que vient la citation (scène de la baignoire). Mais le
réalisateur n’oublie pas d’instaurer à son climat frissonnant sa poésie
visuelle qui s’exprime ici par ces feuilles puis cette neige qui tombent au
milieu du hall via une ouverture dans le toit (rappelant les flocons du
cimetière du premier opus d’Hellboy et
les feuilles d’or virevoltantes du second), où là par cette délicate et
vaporeuse apparition fantomatique (sur le fauteuil du grenier). L’intérieur de
la demeure est magnifique de noirceur gothique et s’avère un emplacement
parfait pour le mélodrame en cours. « La
maison respire » confie Thomas à son épouse, cet endroit semble en
effet souffler bien des choses à Edith, elle qui a écrit une histoire de
fantômes n’est-elle pas en train de la vivre ? Même si l’imagerie étoffe
un scénario qui manque parfois d’ampleur, Guillermo del Toro réussit à greffer
à son cinéma le genre de la romance en le transformant dans un film hybride qui
pose la question de la monstruosité : est-elle toujours où on la croit ?
Publié sur Le Plus de L'Obs.com
17/10/15
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