mardi 27 octobre 2015

► CRIMSON PEAK (2015)

Réalisé par Guillermo del Toro ; écrit par Guillermo del Toro et Matthew Robins


... Romance sanguine

Membre du jury au dernier festival de Cannes, Guillermo Del Toro nous revient en réalisateur avec Crimson Peak et dans une atmosphère radicalement différente de son précédent film qui mêlait action et science-fiction, Pacific Rim (2013). En effet, l’univers futuriste de ce dernier contraste avec l’époque victorienne dans laquelle se déroule l’histoire. C’est la première fois que le réalisateur mexicain explore le XIXème siècle, lui qui a en revanche à deux reprises situé des films pendant la guerre d’Espagne (L’échine du diable et Le labyrinthe de Pan). Un film en costumes donc, auxquels  le cinéaste va intelligemment donner des fonctions dramatiques. Guillermo del Toro va puiser dans cette période de nombreux motifs qui sont autant de fils d’une toile qui constitue une œuvre homogène où les humains et toute sorte de créatures finissent par se faire face. Les films du réalisateur constituent ainsi un bestiaire surprenant et fascinant où se croisent des vampires (Blade II), des insectes mutants (Mimic) ou encore un faune (Le labyrinthe de Pan). Une galerie monstrueuse qui ne contient pas que des entités surnaturelles  aux mauvaises intentions : le personnage d’Hellboy dans le diptyque éponyme est ainsi allié aux humains. Et dans Crimson Peak, les fantômes qui rôdent autour de la jeune Edith semblent vouloir la mettre en garde. La romancière américaine en herbe est-elle donc en danger ? Tout semble pourtant lui ravir : Thomas, un baronnet venu d’Angleterre, tombe sous son charme et celui de sa plume. Malgré des événements dramatiques, Edith, devenue l’épouse de Thomas, s’installe avec lui dans le manoir familial, perdu sur une lande désolée. Ils y retrouvent Lucille, l’omniprésente sœur de Thomas, aussi lugubre que la demeure. Dans ce ménage à trois, Edith est prise en tenaille par un frère et une sœur pernicieux. Doit-elle avoir peur des fantômes ou tenter de comprendre leur message ? Quand Guillermo del Toro s’essaye à la romance, celle-ci se révèle sanguine, il met esthétiquement en scène un mélodrame gothique à l’horreur flamboyante.


« Les fantômes existent » : l’affirmation d’Edith ne laisse pas place au doute, surtout que ces mots proviennent du premier plan, qui s’avère être un flashforward, à savoir que l’image qui nous est montrée appartient à un moment ultérieur du film. Comme au début du Labyrinthe de Pan. Outre l’effet d’attente provoqué, ce montage instaure l’étrangeté et l’inquiétude puisque qu’Edith (Mia Wasikowska, vue chez Tim Burton dont l’esprit plane sur le film) nous apparaît ensanglantée. Première occurrence d’un motif (la couleur rouge) que le réalisateur va décliner tout au long de l’histoire avec minutie (le tire du film étant déjà une allusion). Ce rouge passion est intimement lié au rouge sang : il caractérise le personnage de la sœur (Jessica Chastain en beauté froide) dès sa première apparition au bal lorsqu’elle joue du piano dans une robe vermeille (Edith portera en revanche souvent une robe jaune, couleur de la vie). On retrouve cette teinte sur divers objets signifiants, en particulier la bague de mariage, que Thomas tient de sa mère, ou encore la balle avec laquelle Edith fait jouer son chien. Mais ce sont littéralement les terres du manoir qui suintent de l’écarlate : situés sur des carrières de glaise que Thomas (Tom Hiddleston) veut extraire, la propriété et ses abords prennent la couleur de son sous-sol. L’allée qui mène à la demeure à la couleur de la terre battue et le parquet laisse s’échapper un liquide vermillon. Cette résurgence des bas-fonds contient dans sa manifestation ostensible la conscience macabre du lieu et qui s’incarne pour Edith sous forme de fantômes saignants. Le huis clos qui alors commence transforme l’amour inaugural en un quotidien bancal et déliquescent. L’atmosphère mortuaire semble atteindre Edith dans sa chair même puisqu’elle se met à régurgiter du sang, comme si l’extériorité déteignait sur son intériorité.


Crimson Peak est ainsi un film aux décors et aux couleurs particulièrement soignés, il faut dire que Guillermo del Toro a débuté dans les effets visuels et a conservé cet œil aiguisé pour habiller et éclairer ses plans. La première partie dans la maison d’Edith et son père est traversée par une lumière chaude et feutrée qui correspond au sentiment de sécurité et de bien-être qui est le leur dans cette vie douillette. Le cinéaste se plait néanmoins à y faire émerger l’horrifique par petites touches, comme avec le fantôme de la mère d’Edith ou la scène du parc lorsque des fourmis qui dévorent un papillon deviennent, par l’utilisation du gros plan, monstrueuses. Avec le basculement que représente l’installation dans le manoir de Thomas et Lucille, le conte romantique vire à l’horreur, le fantôme à l’ombre héritée du Nosferatu de Murnau devient un corps d’écorché et c’est alors du côté du Shining de Kubrick que vient la citation (scène de la baignoire). Mais le réalisateur n’oublie pas d’instaurer à son climat frissonnant sa poésie visuelle qui s’exprime ici par ces feuilles puis cette neige qui tombent au milieu du hall via une ouverture dans le toit (rappelant les flocons du cimetière du premier opus d’Hellboy et les feuilles d’or virevoltantes du second), où là par cette délicate et vaporeuse apparition fantomatique (sur le fauteuil du grenier). L’intérieur de la demeure est magnifique de noirceur gothique et s’avère un emplacement parfait pour le mélodrame en cours. « La maison respire » confie Thomas à son épouse, cet endroit semble en effet souffler bien des choses à Edith, elle qui a écrit une histoire de fantômes n’est-elle pas en train de la vivre ? Même si l’imagerie étoffe un scénario qui manque parfois d’ampleur, Guillermo del Toro réussit à greffer à son cinéma le genre de la romance en le transformant dans un film hybride qui pose la question de la monstruosité : est-elle toujours où on la croit ?

Publié sur Le Plus de L'Obs.com


17/10/15   

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