mercredi 28 octobre 2015

► MON ROI (Prix d'interprétation féminine Cannes 2015)

Réalisé par Maïwenn ; écrit par Maïwenn et Étienne Comar


... L'euphorie meurtrie


Très attendu suite au prix d’interprétation féminine reçu par Emmanuelle Bercot au dernier festival de Cannes, le dernier film de Maïwenn, Mon Roi, fait suite au succès public et critique de Polisse, en 2011. La réalisatrice a donc pris son temps pour réaliser son nouveau projet qui, malgré un sujet différent, reprend le principe de l’immersion, non pas au cœur de la brigade des mineurs mais au sein d’un couple. C’est le sujet de la chronique amoureuse, étalée dans le temps, auquel s’intéresse la cinéaste et elle l’aborde frontalement pour la première fois. Il en était bien sûr déjà question dans son premier film et en filigrane dans Le bal des actrices à travers le savoureux couple qu’elle formait avec JoeyStarr mais avec Mon Roi elle en fait le moteur de sa trame. Ce sont les péripéties de la vie d’un couple, Tony (pour Antoinette) et Georgio, que le film nous invite à partager. Le titre désigne le personnage masculin car c’est d’un point de vue féminin que nous sera racontée l’histoire et cette fois-ci, Maïwenn ne s’invite pas dans son propre film. Fait notable puisqu’elle avait, lors des trois premiers, joué un personnage. Après avoir incarné un rôle fort, caméra au poing, dans Pardonnez-moi, elle n’était déjà plus qu’une figure parmi les autres dans Polisse. La réalisatrice-actrice transmet le relais à Emmanuelle Bercot qui s’empare à bras le corps de la vie de Tony, avocate qui retrouve un jour dans une boîte de nuit l’homme qui l’avait jadis  attiré sans jamais avoir rien tenté. Georgio est un bobo parisien plein de bagou, à l’aise avec tout le monde et en tous lieux. Une histoire passionnée s’épanouit rapidement dans l’allégresse mais la Tony qu’on découvre de prime abord n’est pas celle-là. Blessée suite à un accident de ski, elle entame une rééducation dans un centre, seule. On comprend alors que cette chute est le point d’orgue  d’une succession de failles dans la vie de son couple. Le passé et le présent vont alterner pour dérouler la chronologie d’un amour avec toutes ses nuances. Maïwenn confie deux beaux rôles à Vincent Cassel et Emmanuelle Bercot, ceux de personnages qui se trouvent avant de se chercher, dans un film fougueux.

« L’amour n’est rien sans orage » : la sentence est prononcée par Tony lors d’une plaidoirie pour un concours d’éloquence sur le thème Faut-il tout gâcher ? Du mauvais temps, elle va en avoir avec Georgio et pourtant, l’immense fresque qui recouvre un pan de mur dans son appartement et qui représente une plage paradisiaque semblait lui promettre le contraire. C’est d’ailleurs vers cette vue du bord de mer que se tourne souvent le regard de Tony lors de sa convalescence, souvenir d’un temps apaisé, celui de la rencontre. Car la construction du film en flash-back fait écho au traumatisme corporel qui touche Tony. La psychologue, en jouant sur le glissement de sens du mot « genou » déclenche un retour en arrière qui sera celui du sacre du « roi » jusqu’à sa destitution. Mais le film, qui rappelle la démarche du 5X2 de François Ozon (une histoire de couple inversée allant de la fin au commencement) n’est pas pour autant une avancée uniforme vers la déliquescence : rien ne semble jamais définitif dans la relation animée entre Tony et Georgio, aussi bien le bonheur que le malheur. Comment maintenir l’équilibre quand ce qui a été attractif devient répulsif ? La désinvolture a-t-elle laissé place à l’imposture ? « Je ne te connais pas en fait » constate Tony face à l’homme qu’elle est pourtant allait chercher, il est vrai que tout est allé vite. Maïwenn s’amuse d’ailleurs à donner, par la simple mise en scène, un coup d’avance aux événements. Ainsi, le mariage des amis de Georgio est filmé de telle façon (par un jeu sur le flou et la mise au point) qu’il annonce en réalité celui des deux amants turbulents. En revanche, et par effet de contraste, la tentative de suicide d’Agnès, l’ex de Georgio trouvera une symétrie plus dramatique, la répétition étant celle de la passion comme de la destruction.

Vincent Cassel interprète avec un plaisir évident le rôle de cet homme amoureux mais tortueux, il est remarquable de justesse et son aisance de parole comme sa présence énergique donne toute sa saveur au personnage. Isabelle Bercot a impressionné le jury cannois dans ce rôle où les rires et les larmes ne sont jamais éloignés, s’accaparant la force comme la fragilité d’une femme tiraillée entre des sentiments ambivalents, réduisant soudain la colère à un cri sous la pluie. Le talent de Maïwenn est aussi là : savoir choisir ses acteurs et surtout parvenir à les diriger, à obtenir d’eux ce que le film requiert. L’emploi de nombreux champs-contrechamps installe le couple dans cette position frontale qui rythme leur histoire : face à face mais pourtant séparés, s’aimant mais s’opposant. Georgio tentera d’ailleurs de matérialiser cette distance ambiguë en se prenant un appartement tout proche du domicile conjugal, pour être là sans vraiment l’être. La naissance d’un enfant ne fera que complexifier cette situation. Le cinéma de Truffaut, grand metteur en scène du couple, n’est pas loin. La réalisatrice, qui nourrit son film de sa propre expérience, retrouve alors les élans de violence de Pardonnez-moi et choisit à nouveau une scène de repas pour faire éclater le malaise que Tony exprimera de tout son corps : éructant et se contorsionnant, comme pour exorciser ce qui la ronge. Sa longue rééducation du genou devient la métaphore d’une euphorie meurtrie, d’un retour à soi et à ses sensations pour mieux avancer. Rependre le contrôle de son corps comme de sa vie : un travail long et difficile dans lequel elle retrouve une certaine liberté. Mon Roi est un vibrant film sur le mouvement, celui des cœurs et des leurres, qui broie autant qu’il met en joie dans une même impulsion qui fait du souvenir une indécision quant à l’avenir.

Publié sur Le Plus de L'Obs.com

25/10/15            

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