Écrit et réalisé par Terrence Malick
... Le passager
Celui
qui se faisait si rare par le passé n’aura jamais été aussi productif que
depuis ces dernières années. Le réalisateur Terrence Malick enchaîne les films
depuis qu’il a retrouvé les chemins du cinéma avec The Tree of Life en 2011. Lui qui pouvait mettre jusqu’à 20 ans
pour réaliser son prochain film (durée entre Les Moissons du ciel et La
ligne rouge) n’est plus dans cette démarche. L’année 2016 verra d’ailleurs
encore deux de ses projets portés à l’écran : un long-métrage et un
documentaire. Les sorties rapprochées de ces derniers films correspondent à une
effervescence créative qui obéit à une continuité certaine. Knight of Cups fonctionne comme une
partie (la dernière ?) d’un tout entamé avec The Tree of Life et poursuivit avec À la
merveille. Au-delà d’une homogénéité formelle et dramatique (choix de
rompre avec le récit linéaire classique), on peut voir l’ensemble comme le long
déroulement d’une introspection mystique et métaphysique où la connexion avec
soi passe par la contemplation et la sensation au monde. Ceux qui avaient été
séduits mais déroutés par The Tree of Life
(Palme d’or Cannes 2011) et franchement perdus par À la merveille, n’embarqueront pas non plus pour le voyage
singulier qu’est Knight of Cups car
Terrence Malick y propose la même approche, faite d’une vie aux souvenirs
éparpillées et à l’image berçante. Morcelées comme dans les films précédents,
les choses se devinent et se construisent au fur et à mesure, se saisissent par
bribes ou demeurent en suspens. Ainsi comprend-on plus ou moins que Rick, le
personnage principal, (Christian Bale, qui n’avait pas pu jouer dans À la merveille mais qui avait tourné
dans Le Nouveau Monde) est scénariste
mais on ne le verra jamais au travail car l’important n’est pas l’histoire
qu’il doit écrire mais celle qu’il a vécu, qu’il vit et qu’il vivra. L’homme
aime les femmes et elles ont été nombreuses à passer ou à rester dans son
existence, toutes lui ont apporté des émotions, des plus simples aux plus
complexes. Son histoire familiale, entre un père croyant et un frère tourmenté,
occupe également une place importante dans l’assemblage sensoriel qui constitue
son être. Film à la douceur feutrée, Knight
of Cups est un kaléidoscope sur la quête de sens d’un homme qui goûte la
vie autant qu’il la questionne.
S’il
peut apparaitre comme déstructuré, le film de Terrence Malick est en réalité
tout le contraire (avec un travail magnifique et conséquent sur le montage) et
il choisit même d’encadrer ses séquences par des intertitres qui sont la
déclinaison de ce que le titre principal laisser envisager. À savoir une
histoire placée sous le signe du tarot divinatoire (une scène montrera
d’ailleurs Rick se rendre chez une cartomancienne). Knight of Cups désigne en effet le Cavalier (ou chevalier) de coupe
et ce sont les intitulés des atouts qui vont introduire chacun des chapitres du
film. Terrence Malick en utilise sept : la Lune, le Pendu, l’Hermite, la
Tour (la maison de Dieu), la Justice, la Papesse et la Mort (la carte du Soleil
sera aperçue brièvement sans pour autant faire partie des titres). Le dernier
intertitre « Liberté » s’émancipe de ce principe. Le symbolisme de
chaque carte va ainsi influer sur les évènements vécus par Rick. Lors du
premier chapitre « La lune », qui appelle la féminité, on le voit
faire connaissance d’une femme avec qui il va vivre une aventure enjouée tandis
que « Le Pendu », rattaché à un sentiment de confusion et
d’oppression, le confronte à son frère. Ce dernier semble perturbé par la mort
de leur autre frère dont on ne saura rien. Tous ces éclats d’âme s’organisent
donc autour de Rick : il est celui qui, tel le pèlerin évoqué en voix off,
arpente les lieux comme on fouille en soi. Personnage désigné par le titre, ses actions
sont le reflet d’une personnalité symbolique : la carte du Cavalier désigne en
effet quelqu’un de particulièrement touché par l’affectif et porteur de
changements. Sa monture évoque les déplacements et Rick évolue dans de nombreux
endroits (urbains, désertiques, aquatiques) où le mène une vie fébrile.
L’eau,
qui est l’élément rattaché au Cavalier, est d’ailleurs omniprésente dans le
film. On sait l’importance que Terrence Malick accorde aux quatre éléments dans
son cinéma, Knight of Cups se
focalise sur la consistance liquide : mer, piscines, fontaines, aquarium,
ponctuent les déambulations de Rick. L’eau symbolise l’infinité des possibles
et c’est bien ce qui préoccupe cet homme qui traverse sa vie sans réussir à
garder un cap : « Comment
trouver mon chemin ? » s’interroge-t-il à travers sa voix off qui
sera pour ainsi dire sans seul moyen d’expression orale. Il y a d’ailleurs une
épuration de la parole comme il y a un dépouillement de l’espace : le
frère habite un lieu brut, Rick vit dans un appartement quasi vide et il est
souvent filmé seul dans des étendues rocheuses ou désertiques. Les contrastes
jalonnent le film à l’instar de la scène à l’exposition d’art contemporain, où
trône une sculpture d’assiettes bleues empilées, que le cinéaste fait suivre de
toiles de maîtres. De la même manière, alternent des plans sur des malades
difformes et des corps sculpturaux de mannequins. Les images se suivent et se
lient les unes aux autres précisément dans leur rupture, elles sont comme ces
« fragments, morceaux d’un homme »
que la voix off de Ben Kingsley évoque. Le mysticisme des deux films précédents
devient celui d’une reconquête de soi-même : la famille de The Tree of Life se demandait
pourquoi ? Le prêtre de À la
merveille tentait de restaurer sa foi. L’homme de Knight of Cups cherche sa voie. Soucieux de la forme de son film,
Terrence Malick tourne en courte focale, ce qui donne une certaine distorsion
aux contours de l’image et nous immerge dans un cocon mental, à la fois
apaisant et intriguant. Le réalisateur se sert d’une manifestation de la nature
(le tremblement de terre) pour signifier les bouleversements qui agitent Rick,
sans cesse se promenant entre le désir du plaisir et l’opportunité de saisir un
avenir. « Tu ne cherches pas l’amour
mais l’expérience de l’amour » lui assénera l’une de ses conquêtes. D’une
grande richesse stylistique et réflexive, Knight
of Cups est une succession d’haïkus cinématographiques.
Publié sur Le Plus de L'Obs.com
28/11/15
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