samedi 24 janvier 2015

► THE SMELL OF US (2015)

Réalisé par Larry Clark ; écrit par Mathieu Landais et Larry Clark


... Les pores du désir

Alors qu’il fêtera ses 72 ans dans quelques jours, le réalisateur américain Larry Clark a encore des choses à montrer sur la jeunesse et il le fait avec la force et le fracas qu’on lui connait. Ses films sont ceux d’une géographie, celle d’un continent aussi vaste que singulier et protéiforme : celui de l’adolescence.  Explorateur au plus près de générations qu’il n’a eu de cesse de photographier ou de filmer dans une intimité crue, souvent perçue comme dérangeante car sans détour. Avec The smell of us (interdit aux moins de 16 ans), Larry Clark ajoute un nouveau segment à sa fresque, dans la continuité d’une iconographie qui lui appartient. Chacun de ses films peut être situé sur une carte car à la géographie des corps répond une géographie des lieux (Floride, Californie, Los Angeles…) qui pour la première fois sort de l’Amérique. Le réalisateur choisit en effet Paris pour un film tourné avec des acteurs français. Quel regard porte-il sur une certaine jeunesse française ? C’est par le biais d’une histoire qui heurte, celle de jeunes garçons  lycéens qui se prostituent, qu’il choisit d’aborder son implacable immersion. Mais point ici de réseau ou de souteneurs (à l’inverse  de l’organisation des passes par de jeunes sourds-muets dans The Tribe) : aujourd’hui tout passe par internet et ces garçons accomplissent cette activité comme d’autres ont une activé extra-scolaire, dans la bonne humeur apparente. C’est d’ailleurs au travers les expériences d’un groupe de skateurs, et en particulier Math (Lukas Ionesco), l’éphèbe blond, et de son inséparable acolyte JP (Hugo Behar-Thinières), le brun ténébreux, que Larry Clark, toujours aussi percutant, va une nouvelle fois sonder ces corps à vif. Dans ces rapports charnels dépourvus de romantisme s’exhalent aussi bien une animalité, une vénalité, qu’un abandon de soi, non pas dans le désir mais dans l’aversion. 


La pudeur n’a pas sa place dans The smell of us, ces ados délurés s’entendent bien, jusqu’à copuler, une fois les planches de skate posées, au milieu de leur groupe d’amis sans que cela les perturbe. Le ton est donné. Incision frontale dans ce qui reste tabou : la liberté sexuelle que s’offre  une jeunesse loin du regard des adultes. Car qui est choqué ? Certainement pas cette joyeuse bande, tout se passe dans une convivialité que Larry Clark ne se contente pas seulement de filmer. Au-delà de l’image de l’acte, c’est la question du regard sur l’intime et du rapport à l’autre qui est posée. Les ébats sont publics sans être exhibitionnistes, ces ados sont décomplexés et n’ont aucun jugement moral sur ce qui se passe. Ils sont dans un monde clos à l’intérieur duquel ils vivent comme bon leur semble. Ce qui rappelle la scène finale de Ken Park (2002) où le trio s’isolait pour former une entente libérée de toutes pressions extérieures. De la même façon, Math et JP ont intégré à leur quotidien leur activité d’escort boy : ils cherchent ensemble des clients entre deux visionnages d’exploits de skateurs. Il y aura sans cesse ce hiatus entre une vie d’adolescent normée et cette incursion dans un monde adulte via des rapports tarifés. L’étudiante mineure de Jeune et Jolie (Ozon, 2013) empruntait la même voie, par envie, contrairement à Math qui semble subir une situation qu’il a pourtant décidée. 


Car s’il est question de désir, ce n’est pas de celui des protagonistes : ils accomplissent sur demande, moyennant finance, ce qu’on exige d’eux (comme le couple à peine majeur de Complices, 2010), le plaisir est exclu du rapport qu’ils ont avec l’adulte. D’autant plus qu’il s’agit de clients d’âges murs pour qui ils n’ont aucune attirance. « Est-ce que je sens encore ? » demande Math à JP après avoir pris une douche. Comme s’il fallait se laver d’une souillure, se défaire d’une peau outragée. Math se plaint de ce qu’il a dû faire avec un client mais retrouve sa posture ambivalente : il exprime un dégoût sur un ton badin. Il va ainsi de plus en plus devenir absent à lui-même pendant ses rendez-vous avec les clients. Larry Clark choisit de répéter un même plan pour marquer cette perte de soi, cette passivité macabre qui domine dans les ébats. La tête de Math est filmée légèrement penchée, les yeux dans le vague, avec une lumière saturée. L’ange blond est comme inerte, déchu, le client en vient à lui donner des claques pour le faire réagir. Il n’y a plus que la chair en gros plan clinique et elle est triste. Mais Math se complet dans l’attraction / répulsion de ses propres actes. La scène de la boite de nuit permet à Larry Clark d’exprimer ces contradictions à travers une mise en scène inspirée. Il nous fait passer en un instant de l’odeur de la sueur, de l’animalité des désirs, des corps exaltés par la musique techno à un instant de grâce où l’angelot, sur une musique soudainement jazzy,  semble s’extraire brièvement du bruit et de la fureur. Peine perdue. Le personnage du vieux clochard (interprété par le réalisateur) qui gravite autour du groupe, résonne comme le devenir dégénéré de Math. Moqué, il est surnommé Rockstar, ironie pour celui qui est devenue une loque.


La vision décapante de Larry Clark s’accompagne d’une mise en abyme à travers le personnage du filmeur. C’est un des camarades de Math et JP qui a la particularité de filmer les acrobaties des skateurs (personnages souvent vus chez Larry Clark, voir Wassup Rockers) comme les rendez-vous de Math avec ses clients, avec le plus grand naturel. Cette utilisation de la vidéo permet au réalisateur de faire un travail intéressant sur l’image en accentuant le fourmillement ou la pixellisation. Un rendu vintage surprenant à l’heure de la haute définition. La scène au milieu du groupe, évoquée plus haut, devient ainsi un moment d’abstraction. Et que le Palais de Tokyo (avec son musée d’Art moderne) soit le lieu privilégié où s’exercent les skateurs n’est pas anodin. Tout comme le fait que l’appartement d’un client, lors d’une scène centrale d’orgie dévastatrice, ressemble à une galerie d’art sauvage que se serait réappropriée cette jeunesse. « T’en fais quoi de ces vidéos ? » lui demandent les autres, question sans réponse. Au spectateur de leur donner un sens face à des adolescents qui sont dans l’action. Car The smell of us tourne autour des moyens d’expression : ces jeunes sont dans la dispersion d’une énergie, choquante, vivante, traumatique, impulsive. Les corps sont devenus des objets assumés, qui rapportent, mais qui sont détachés des sentiments. Et pourtant, dans cette galerie dévergondée, s’esquisse le rejet d’un amour qui a la tragédie du murmure.

15/01/14                   

► CAPTIVES (2015)

Réalisé par Atom Egoyan ; écrit par David Fraser et Atom Egoyan


... Au bout de l'hameçon

Habitué du festival de Cannes, le réalisateur canadien Atom Egoyan y a présenté l’année dernière son dernier film, Captives. S’il a obtenu à deux reprises le prix du jury œcuménique (De beaux lendemains en 1997 et Adoration en 2008), il n’aura pas été distingué cette année pour ce qui est néanmoins un thriller abyssal captivant. Son film précédent, Devil’s Knot (2013), étrangement sorti directement en vidéo chez nous, traitait d’un fait divers tragique qui bouleversa l’Amérique au début des années 90 : 3 enfants disparaissaient et étaient retrouvés égorgés. C’est encore d’enfance dont il est question dans Captives, d’enfance volée, manipulée, bouleversée. De nombreux films ont mis en scène ce genre d’histoire d’enlèvement, comme le récent Prisoners de son compatriote Denis Villeneuve ; mais Atom Egoyan choisit de l’aborder d’une façon bien particulière, à travers un kaléidoscope de points de vue et de temporalités. En effet, le film n’est pas constamment déroulé de façon linéaire, ce qui n’entrave pas la compréhension mais lui donne au contraire un nouvel éclairage à chaque avancée. Soit une disparition : celle de Cassandra, la fille de Matthew et Tina, un jour de neige, aux abords d’une route. Ce n’est pas l’enquête immédiate qui intéresse le cinéaste mais comment, d’une part, des années plus tard, un espoir peut subsister et si des retrouvailles sont possibles. Dans une mise en scène au cordeau, Atom Egoyan nous immisce, d’autre part, dans la relation psychologique que l’enfermement a créée entre le ravisseur et sa victime. Étonnant puzzle où la torture n’est pas physique mais mentale, non violente mais perverse et qui surtout révélera sa signification sombre et saisissante dans ce film haletant et troublant.


« Il ne me reste rien d’autre à faire aujourd’hui que de me souvenir » chantonne Cassandra (Alexia Fast) devenue adolescente dans sa geôle. Avant d’entamer une conversation avec son ravisseur. La scène a de quoi surprendre, surtout que nous sommes au tout début du film. Si la lourde porte blindée qui donne accès à cette pièce cachée ne nous avait pas été montrée, l’appréciation de l’instant aurait été différente. Et c’est bien cette étrangeté que va cultiver Atom Egoyan à travers son histoire. Sa mise en scène pointe d’ailleurs, à chaque fois que le ravisseur vient parler avec la jeune fille, le fait que la porte est clairement et grandement ouverte en arrière-plan. Moyen cinématographique d’indiquer que la prison est bien plus psychologique que physique. L’homme a l’ascendant sur Cassandra et sait qu’elle ne tentera pas de s’échapper. Que s’est-il passé durant les années de captivité qui ont précédé ? Le film n’en dira rien et se distingue ainsi intelligemment d’un propos convenu. Toutes les premières scènes, articulées autour des différents protagonistes à venir, sont des morceaux, à ce moment absconds, de situations à venir. Cette apparence éclatée brouille les cartes et attise l’intérêt tout autant qu’elle met l’accent sur le thème de la chansonnette de Cassandra : la mémoire. Matthew a transformé sa voiture en mausolée, Tina vient d’année en année faire un point sur l’enquête, Nicole (Rosario Dawson), l’inspectrice aura une tirade sur son enfance difficile et son collègue Jeffrey (Scott Speedman) aura l’impression de reconnaitre quelqu’un en Matthew. Tous sont hantés de souvenirs cristallisés par la disparition de Cassandra.


« Vivre me manque » souffle Tina (Mireille Enos)  à Nicole qu’elle rencontre à intervalle régulier. Derrière la souffrance se dessine en creux la dislocation d’un couple qui nous apparaît en lambeaux. Toujours montrés séparément avec un jeu d’opposition intérieur / extérieur, ils avancent avec un même souvenir mais sur des routes différentes. Là encore, l’ellipse est de mise et Atom Egoyan ne fait qu’esquisser volontairement l’éloignement. On comprend que Tina considère Matthew (Ryan Renolds, en père éprouvé mais déterminé comme pouvait l’être celui de Lovely Bones) comme responsable de la disparition de leur fille : pas besoin d’en rajouter, le cinéaste sait user de l’économie pour conférer une couleur à une scène, une sensation à un comportement. Matthew se tient à distance des policiers pour qui il a de la défiance, ce qui ne l’empêche pas de continuer à espérer, comme on le voit avec les affiches de recherche qu’il placarde. Mais cela l’enferme dans le souvenir : il voit Cassandra en chaque jeune fille qu’il croise sur le bord de la route et s’astreint à aller regarder patiner l’ancien partenaire de sa fille. Cette attente du retour est ce qui le fait vivre et l’emprisonne à la fois. D’ailleurs, c’est tout en subtilité que la mise en scène reproduit ce cloisonnement commun à l’ancien couple. Un mouvement panoramique inaugural nous montre le paysage enneigé : le vide, l’absence, sont déjà là tandis que le côté circulaire du balayage annonce l’aspect répétitif de vies qui tournent en rond autour d’un même centre, Cassandra.


Et une personne est à la manœuvre : le ravisseur qui se rêve en démiurge (Kevin Durand, tout en préciosité). Il est présenté comme tel au milieu de ses écrans de surveillance, il semble se repaître de sa position dominante et prend plaisir à voir les réactions de ceux dont il provoque les réactions. Dès le début, on se rend compte qu’il filme en effet  à son insu Tina dans son travail. Cette dernière est femme de chambre et elle découvre régulièrement dans les chambres dont elles s’occupent des objets lui rappelant Cassandra. Mise en scène glaçante et voyeuriste, organisée par le ravisseur,  et dont le caractère malsain redouble quand on s’aperçoit que Cassandra visionne quotidiennement ces mêmes images. Le caractère maléfique du personnage est induit dès le début par une référence à l’air de la Reine de la nuit, fameux passage de l’opéra de Mozart La flûte enchantée (1791), que le ravisseur diffuse sur un écran. Aussi trompeur et manipulateur que son modèle opératique, il utilise Cassandra à des fins qui dépassent l’enlèvement, étant même prêt pour cela à fournir à sa captive de la matière à émotion. Jamais sordide malgré son sujet, le film aborde finement la force des sentiments qui sont autant un drame qu’une espérance.

Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
 
10/01/14 

samedi 10 janvier 2015

► EXODUS : GODS & KINGS (2014)

Réalisé par Ridley Scott ; écrit par Bill Collage, Adam Cooper et Steven Zaillian


 ... La conscience du meneur

En cette période de fête où la chrétienté a célébré la naissance de son Messie, un autre de ses personnages emblématiques est mis à l’honneur par le cinéma hollywoodien : Moïse, l’enfant sauvé des eaux, devenu le meneur du peuple hébreu. L’usine à rêve a souvent puisé son inspiration dans les récits bibliques, comme la peinture au cours des siècles : la Bible est un formidable contenant d’histoires à valeurs universelles et un inépuisable livre d’images évocatrices. La machine hollywoodienne, peut, parfois à raison, faire craindre le pire quand elle s’empare de ce genre de sujet. Mais récemment, Darren Aronofsky nous a montré, en faisant de son Noé une tragédie shakespearienne, qu’il était possible de ne pas se laisser dominer par le poids d’une figure séculaire. Avec Exodus, Ridley Scott fait de même en s’appropriant le personnage de Moïse sans le déposséder de ses origines bibliques, auxquelles il reste plutôt fidèle. L’histoire est une de celles les plus connues, car des plus fondatrices dans la religion catholique, et le cinéma, avec un film mythique comme Les Dix Commandements (Cecil B. DeMille, 1956), a en quelque sorte pris le relai de la Bible pour la diffusion du récit dans l’inconscient collectif. Comme l’indique précisément le titre, c’est de l’Exode (deuxième livre de L’Ancien Testament) qu’est tiré le film de Ridley Scott ; évidemment, même si le film fait 2h30, tous les épisodes ne sont pas racontés et les ellipses sont les bienvenues. Ce qui confère une fluidité et une efficacité à l’ensemble. Maître d’un récit gigantesque, Ridley Scott assemble avec panache ce qui est la fresque d’un mouvement intérieur comme extérieur, d’une avancée d’un homme comme d’un peuple aux prises avec le destin et le divin.


La puissance de l’armée égyptienne éclate lors de la scène de bataille inaugurale. Filmée avec savoir-faire comme une masse écrasante, l’armée exprime là sa domination absolue et c’est pourtant au cœur de cette notion de groupe puissant, d’un ensemble, que se dégage l’individualité. En effet, respectant en cela la prophétie énoncée plus tôt, Moïse sauve Ramsès, le fil du Pharaon avec qui il a grandi. Les deux prénoms sont d’ailleurs pour la première fois prononcés à l’issue de cette scène, Ridley Scott vient, tout en subtilité, de nous faire passer du général (le bloc armé) au particulier (deux destins). C’est ainsi que procède le film : parler d’une multitude à travers une double mise en exergue. Et le statut de Moïse est des plus complexes, ce que met particulièrement bien en avant Exodus, puisque c’est un hébreu élevé comme un égyptien. Le personnage de Christian Bale (visage marqué et interprétation comme toujours inspirée) est aussi chevelu et barbu que celui joué par Joel Edgerton (Ramsès parfait en monolithe inflexible) est chauve et imberbe. Les deux hommes s’opposent physiquement avant de se défier idéologiquement. Mais là encore l’affrontement est moins celui de deux hommes (jamais ils ne combattront comme pouvaient le faire ad nauseam Les Duellistes, premier coup de maître de Ridley Scott en 1977) mais ils se dresseront l’un contre l’autre par peuple interposé. Ramsès durcit l’esclavage du peuple hébreu tandis que Moïse, avec la main de Dieu, met à mal l’existence des égyptiens.


La souffrance est partagée et c’est ce qui conduit à un des aspects les plus saisissants et intéressants du film : le conflit entre Dieu et Moïse. Car ce dernier est  dans une situation ambivalente : pour sauver le peuple dont il se découvre membre, il doit voir souffrir ceux avec qui il a grandi. Son empathie naturelle le distinguait déjà de son entourage. Sa visite dans les carrières où sont exploités les hébreux, pour satisfaire les exigences architecturales des dominateurs, va être un voyage vers le refoulé. Les plans sur ces hommes boueux et peinant rappellent les photos des mineurs de la Serra Pelada du photographe brésilien Sebastião Salgado vues dans Le Sel de la Terre (Wim Wenders, 2014). A la déchéance de ces hommes, qui ne sont plus que des corps-outil, répond l’insolente opulence du dirigeant égyptien local, tout en mépris et suffisance. Ridley Scott choisit ce moment à dessein pour que soit révéler à Moïse les origines de sa naissance. Sa venue sur ce lieu de perdition devient alors un lapsus révélateur (Moïse s’est substitué à Ramsès pour cette mission). « Je sais que tu as des doutes depuis longtemps ! » lui lance le vieux sage.  A la faveur de l’obscurité, il est d’ailleurs pris pour un hébreu : la vérité de l’inconscient était bien dans l’ombre. Mais il n’oublie pas pour autant les égyptiens et s’offusque vivement quand Dieu, pour faire plier Ramsès, envoie ce qu’on appellera les Dix plaies d’Egypte. Véritables séquences de chaos où l’excellent travail sur les effets numériques livre un cauchemar réaliste, seuls moments vraiment démesurés du film.


Moïse hérite ainsi soudainement d’un lourd tribut : un peuple martyrisé et un Dieu, auquel il ne croyait pas (comme le forgeron de Kingdom of Heaven (2005), du même Ridley Scott, se voyait endosser un destin impromptu). Sa rencontre avec ce dernier  sur la montagne (le fameux buisson ardent) est un passage obligé dont on se délectait à l’avance de savoir comment Ridley Scott allait filmer ce sujet imposé. Il réinvente l’apparition de celui qu’on ne voit pas que par le visuel singulier et sobre qu’il choisit. Moïse renait à lui-même dans cette scène anxiogène et symbolique, paradoxalement d’une grande froideur. Le réalisateur prouve, s’il était besoin, que si l’esprit de la Bible est là, le souffle dramatique lui appartient. Il peut ainsi se permettre de ne jamais être dans la représentation iconique mais de toujours bifurquer pour dire autrement ce qu’on sait déjà. Moment de bravoure par excellence : la traversée de la mer Rouge. Décrit dans la Bible (« Étends ta main sur la mer, et fends-la », Exode, 14:16), peint (voir l’huile sur toile de Chagall en 1955), filmé (célébrissime scène des Dix Commandements), l’épisode  est le climax désiré. Fidèle à sa démarche esthétique, Ridley Scott met en scène son épatante vision, moins spectaculaire mais plus humanitaire, d’un homme et de sa conscience, meneur d’un peuple, passeur de valeurs.

Publié sur Le Plus du NouvelObs.com

28/12/14