mardi 12 avril 2016

► L'AVENIR (Ours d'argent Berlinale 2016)

Écrit et réalisé par Mia Hansen-Løve


... Quand s'envisage le virage


Auréolée du prestigieux Ours d’argent de la meilleure réalisatrice il y a quelques semaines à la Berlinale, Mia Hansen-Løve a choisi un titre de film qui est comme une mise en exergue du thème fétiche qu’on retrouve dans chacune de ses réalisations. L’avenir : le mot est vaste de sens, rempli de promesses comme d’incertitudes et s’inscrit dans la démarche de la cinéaste qui est de s’intéresser aux trajectoires évolutives de personnages confrontés aux choix de la vie. Comme souvent dans ses films, le couple y occupe une place centrale et vacillante : Victor et Annette dans Tout est pardonné (2007), Grégoire et Sylvia dans Le père de mes enfants (2009) ou encore Camille et Sullivan, les adolescents passionnés d’Un amour de jeunesse (2011). A ces duos succèdent donc Nathalie et Heinz, professeurs de philosophie, milieu que connait très bien la réalisatrice puisque ses deux parents l’étaient. Son film précédent, Eden (2014), était par ailleurs directement inspiré de la vie de son propre frère avec qui elle avait co-écrit le scénario, une première car Mia Hansen-Løve a toujours été l’auteur de ses histoires. L’avenir ne fait lui pas exception à la règle : la réalisatrice y dresse le portrait d’une enseignante qui, suite à différents événements, va être amenée à questionner sa vie, elle qui pousse les autres à penser par eux-mêmes n’a-t-elle pas oublié de penser à elle ? L’avenir est un film centré sur la figure d’une femme d’âge mûr sans s’éloigner pour autant d’une jeunesse qui est comme un contrepoids réactif. Les films de Mia Hansen-Løve ont toujours su articuler le mouvement des générations, les faisant se rencontrer et s’interroger. Nathalie se trouve malgré-elle dans un de ces moments où on sent que sa place est remise en cause, où les choses se dérobent sans qu’on ait pu les anticiper. Confrontée à une mère dépressive, lâchée par un mari qui en aime une autre, virée de sa maison d’édition : les coups durs s’accumulent. Heureusement, il y a Fabien, un ancien élève devenu militant contestataire. Il va être la pierre angulaire d’une remise en cause pour cette femme mise face à un avenir qu’elle n’avait pas envisagé…Ce film littéraire et philosophique est une belle échappée physique et intellectuelle d’un personnage qui envisage sa vie après n’avoir fait que la suivre.

Rousseau, Schopenhauer, Levinas, Jankélévitch, Pascal : tous les philosophes de renom sont cités, à un moment ou un autre, sous forme verbale ou visuelle, dans un film qui évite cependant le piège de la pesanteur d’un tel référentiel. Induits par la profession de Nathalie et de son mari, ces penseurs sont toujours amenés avec à-propos, voire avec un humour bienvenu dont le film n’est pas dépourvu. « Il m’a manqué ! » s’exclame ainsi Heinz en parlant de Schopenhauer (philosophe tendance pessimiste). Un titre de livre en particulier se révèle éclairant quant à la crise que va traverser Nathalie : « L’obsolescence de l’homme » du philosophe allemand Günther Anders. Car l’enseignante est précisément confrontée au jeunisme de sa maison d’édition qui trouve ses livres poussiéreux : elle est considérée comme dépassée et plus en phase avec ce qu’eux considèrent comme moderne. Le fait que son mari la quitte pour une femme plus jeune (aperçue brièvement) participe de cette vision d’un âge ressenti comme un fardeau qui mène au rebut : le placement en maison de retraite de sa mère (jouée par Edith Scob, qu’on a toujours plaisir à revoir) est mal vécu par Nathalie qui voit le lieu comme un mouroir. Est-ce donc cela son avenir ? Car si la jeunesse manifeste devant son lycée contre la réforme des retraites, elle, n’est pas contre travailler plus pour un métier qu’elle aime. Elle est dans une zone de confort dont les seuls soubresauts sont ceux provoqués par son excentrique mère, auxquels elle s’est habitués, et à qui elle finit toujours par céder (que ce soit un coup de fil en pleine nuit ou pendant un cours). La topographie du film est à l’image de cette douce routine tout en jouant sur l’inversion qui s’enclenche : l’appartement marital se vide du mari comme de ses livres, la maison en Bretagne ne sera plus que le souvenir d’un temps révolu et à l’habituelle salle de classe se substitue le parc des Buttes-Chaumont pour cause de lycée bloqué. Cette nature urbaine en appelle d’ailleurs une autre : plus lointaine et plus bouleversante, dans le Vercors, où Fabien, qui vit avec une communauté, convie Nathalie.  

En effet, l’ancien élève (Roman Kolinka) est un électron libre qui, contrairement à son ancien mentor, a quitté l’éducation nationale pour affirmer ses idées et surtout s’engager dans des causes qui lui permettent d’accorder ses idées et ses actes. Mia Hansen-Løve fait de cette figure contestataire l’élément perturbateur et révélateur qui va pousser Nathalie à redéfinir sa vie. Mais cette liberté nouvelle, mise en valeur par les paysages ensoleillés et paisibles du Vercors,  passe par les reproches : Nathalie refuse de débattre de l’actualité avec ses élèves comme elle n’a pas envie de prendre position sur un débat qui agite Fabien et sa communauté de penseurs sur la notion d’auteur. Cette agitation intellectuelle n’est pas nécessairement ce qu’elle recherche : « J’ai déjà donné », mais cela à au moins le mérite de lui faire prendre le pouls de son existence. Isabelle Huppert incarne avec brio, tant son jeu est fluide et naturel, cette femme intelligente et sûre d’elle qui laisse poindre une fragilité touchante. Ainsi, loin d’être anecdotique, sa relation, d’abord difficile avec le chat de sa mère, prend valeur de métaphore pour une Nathalie qui, comme le félin, se grise d’une liberté dont il faudra bien cependant redéfinir les contours. Mia Hansen-Løve choisit d’ailleurs un lieu hautement symbolique (le tombeau de Chateaubriand face à l’océan) pour lancer son film optimiste et stimulant comme on lance un défi : une fin peut-être le début d’un dialogue porteur d’avenir. 

Publié sur Le Plus de L'Obs.com

06/04/16

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