Réalisé par André Téchiné ; écrit par André Téchiné et Céline Sciamma
... Les cœurs vagabonds
Après nous avoir emmenés sur la
côte méditerranéenne pour son dernier film (L’homme
qu’on aimait trop), André Téchiné choisit un cadre radicalement différent
pour y situer sa nouvelle histoire : ce sont les Hautes-Pyrénées et ses
paysages montagneux qui sont le décor de son 21ème long-métrage. A
73 ans, c’est avec malice que le cinéaste l’intitule « Quand on a 17 ans », référence
explicite au deuxième hémistiche du premier vers du célèbre poème de Rimbaud (Roman, 1870) qui a su traverser les
époques, ce vers étant même rentré dans l’inconscient collectif. Désigné
poétiquement, le sujet du film est donc l’adolescence, âge des possibles et
temps de la construction de soi-même. Sans en être exclusivement le filmeur,
André Téchiné est un grand cinéaste de cette période propice aux excès et aux
tentatives, heureuses ou malheureuses, son œuvre est ainsi parsemée de figures
d’enfants entrant dans l’adolescence, d’ados tourmentés en quête d’avenir ou
encore de jeunes adultes pas encore affirmés. Son film le plus emblématique sur
cette thématique qui lui est chère reste Les
Roseaux sauvages (1994) qui valut à Élodie Bouchez le César du Meilleur
espoir féminin. Quand on a 17 ans en
est le miroir d’aujourd’hui tant les deux films entretiennent des liens forts.
Damien et Tom sont lycéens dans la même classe mais ne se fréquentent pas, leur
seul rapport est un rapport de force : sans que l’on sache pourquoi, les
deux garçons semblent se détester et ne ratent jamais une occasion d’en venir
aux mains. Cette tension limitée au milieu scolaire prend soudainement une
autre tournure quand la mère de Damien se prend d’affection pour Tom et lui
propose de l’héberger suite à l’hospitalisation de la mère du jeune homme.
Comment les deux adolescents vont-il gérer cette cohabitation forcée ? Le
risque d’éclatement peut-il aussi mener à une explication révélatrice ?
Cinéaste des élans du cœur et des mouvements de la vie, André Téchiné pose à
nouveau son regard sensible sur les complexes ambivalences de l’adolescence à
travers un casting réussi qui donne chair à des sentiments éruptifs où défiance
et attirance s’entremêlent intimement.
Reprenant comme dans Les Roseaux sauvages le cadre de l’année
scolaire, le film se divise logiquement en trimestres qui seront autant
d’étapes dans la vie de Damien et Tom qui ont l’un envers l’autre
cette « antipathie violente et
irrationnelle » telle que la définit le père de Damien, militaire
ponctuellement en permission. C’est précisément cette incompréhension que va
creuser le film avec le mystère qui entoure cette agressivité dont eux-mêmes ne
semblent ne pas pouvoir justifier la cause. La judicieuse réalisation d’André
Téchiné matérialise cette opposition caractérielle en divisant géographiquement
les deux bagarreurs : ils vont chacun d’un côté de la route comme l’un vit
dans la ferme d’altitude tandis que l’autre demeure dans la vallée. Le décor
revêt toute son importance à l’aune du conflit des adolescents : ce qui
est une frontière naturelle dans un premier temps va s’avérer poreuse. Tom
pénètre l’espace de Damien en venant habiter chez lui et ce dernier accepte un
combat sur les terres de son ennemi. « Avant,
je ne voyais la ville que d’ici, d’en haut » confesse d’ailleurs Tom à
la mère de Damien. La ferme est une zone de confort, un refuge pour celui qui
s’isole des autres : « Il ne
s’intéresse à personne » clame un Damien qui paradoxalement le cherche
du regard. Tous les deux se rejettent et pourtant n’hésitent pas à entrer en
contact physique pour se donner des coups, la répulsion et l’attraction étant deux
versants de leur étrange relation. L’affrontement physique se substitue aux
mots que n’échangent pas les deux jeunes cogneurs, laissant ainsi aux corps le
soin d’exprimer l’énergie des sentiments refoulés comme lors de la séquence du
combat dans la montagne interrompu par la pluie (rappelant le couple du film Mes séances de lutte de Jacques Doillon,
qui en avait même fait un principe) .Chacun met son corps à l’épreuve de
l’autre sans lui en faire le reproche : les hématomes se succèdent comme
les marques d’un symptôme qui demande à être verbalisé.
Contrairement à un Larry Clark
qui a tendance à écarter volontairement la figure de l’adulte dans ses films,
André Téchiné a toujours aimé mettre en scène les relations entre les parents
et les enfants. Catherine Deneuve a ainsi souvent incarné le personnage d’une
mère : du Lieu du crime à L’homme qu’on aimait trop en passant par
La fille du RER. C’est à Sandrine
Kiberlain que le cinéaste confit cette fois-ci ce rôle d’importance : elle
est un pivot pris entre deux conflits. Celui de son fils avec Tom mais
également celui, à distance, que vit son mari militaire sur un terrain étranger.
A la guerre d’Algérie des Roseaux
sauvages répond une guerre d’aujourd’hui. Au détour de révisons pour le
cours de philosophie, les deux adolescents évoquent les notions classiques du
désir et du besoin qui, par ricochet, concernent tout autant la mère de Damien.
Ces corps juvéniles qui se provoquent font écho à un corps absent : celle du
mari qui s’incarne par écrans d’ordinateurs interposés. Les protagonistes, à
travers leur génération respective, entretiennent ainsi un rapport avec le
manque et donc la souffrance. Quand on a
17 ans est aussi un film d’acteurs comme sait les faire André
Téchiné : Sandrine Kiberlain, lumineuse, se voit offrir un rôle généreux
et entre dans la galerie des grandes actrices ayant tournées pour le réalisateur
(Deneuve, Bouquet, Binoche, Béart…). Le fondamental casting des adolescents
aboutit à l’alchimie entre Kacey Mottet-Klein, qui a déjà plusieurs films à son
actif, et Corentin Fila, dont c’est le premier long-métrage : le choix de
deux physiques différents (le premier est blanc, fluet et pas très grand ;
le second est métis, élancé et affuté) fait partie du jeu des oppositions
qu’instaure le film pour mieux les dépasser. Les vers délicats du poème de
Rimbaud soufflent sur ce film de Téchiné qui fait d’une bataille une conquête
du bonheur.
Publié sur Le Plus de L'Obs.com
30/03/2016
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