mardi 12 avril 2016

► QUAND ON A 17 ANS (2016)

Réalisé par André Téchiné ; écrit par André Téchiné et Céline Sciamma


... Les cœurs vagabonds


Après nous avoir emmenés sur la côte méditerranéenne pour son dernier film (L’homme qu’on aimait trop), André Téchiné choisit un cadre radicalement différent pour y situer sa nouvelle histoire : ce sont les Hautes-Pyrénées et ses paysages montagneux qui sont le décor de son 21ème long-métrage. A 73 ans, c’est avec malice que le cinéaste l’intitule « Quand on a 17 ans », référence explicite au deuxième hémistiche du premier vers du célèbre poème de Rimbaud (Roman, 1870) qui a su traverser les époques, ce vers étant même rentré dans l’inconscient collectif. Désigné poétiquement, le sujet du film est donc l’adolescence, âge des possibles et temps de la construction de soi-même. Sans en être exclusivement le filmeur, André Téchiné est un grand cinéaste de cette période propice aux excès et aux tentatives, heureuses ou malheureuses, son œuvre est ainsi parsemée de figures d’enfants entrant dans l’adolescence, d’ados tourmentés en quête d’avenir ou encore de jeunes adultes pas encore affirmés. Son film le plus emblématique sur cette thématique qui lui est chère reste Les Roseaux sauvages (1994) qui valut à Élodie Bouchez le César du Meilleur espoir féminin. Quand on a 17 ans en est le miroir d’aujourd’hui tant les deux films entretiennent des liens forts. Damien et Tom sont lycéens dans la même classe mais ne se fréquentent pas, leur seul rapport est un rapport de force : sans que l’on sache pourquoi, les deux garçons semblent se détester et ne ratent jamais une occasion d’en venir aux mains. Cette tension limitée au milieu scolaire prend soudainement une autre tournure quand la mère de Damien se prend d’affection pour Tom et lui propose de l’héberger suite à l’hospitalisation de la mère du jeune homme. Comment les deux adolescents vont-il gérer cette cohabitation forcée ? Le risque d’éclatement peut-il aussi mener à une explication révélatrice ? Cinéaste des élans du cœur et des mouvements de la vie, André Téchiné pose à nouveau son regard sensible sur les complexes ambivalences de l’adolescence à travers un casting réussi qui donne chair à des sentiments éruptifs où défiance et attirance s’entremêlent intimement.

Reprenant comme dans Les Roseaux sauvages le cadre de l’année scolaire, le film se divise logiquement en trimestres qui seront autant d’étapes dans la vie de Damien et Tom qui ont l’un envers l’autre cette « antipathie violente et irrationnelle » telle que la définit le père de Damien, militaire ponctuellement en permission. C’est précisément cette incompréhension que va creuser le film avec le mystère qui entoure cette agressivité dont eux-mêmes ne semblent ne pas pouvoir justifier la cause. La judicieuse réalisation d’André Téchiné matérialise cette opposition caractérielle en divisant géographiquement les deux bagarreurs : ils vont chacun d’un côté de la route comme l’un vit dans la ferme d’altitude tandis que l’autre demeure dans la vallée. Le décor revêt toute son importance à l’aune du conflit des adolescents : ce qui est une frontière naturelle dans un premier temps va s’avérer poreuse. Tom pénètre l’espace de Damien en venant habiter chez lui et ce dernier accepte un combat sur les terres de son ennemi. « Avant, je ne voyais la ville que d’ici, d’en haut » confesse d’ailleurs Tom à la mère de Damien. La ferme est une zone de confort, un refuge pour celui qui s’isole des autres : « Il ne s’intéresse à personne » clame un Damien qui paradoxalement le cherche du regard. Tous les deux se rejettent et pourtant n’hésitent pas à entrer en contact physique pour se donner des coups, la répulsion et l’attraction étant deux versants de leur étrange relation. L’affrontement physique se substitue aux mots que n’échangent pas les deux jeunes cogneurs, laissant ainsi aux corps le soin d’exprimer l’énergie des sentiments refoulés comme lors de la séquence du combat dans la montagne interrompu par la pluie (rappelant le couple du film Mes séances de lutte de Jacques Doillon, qui en avait même fait un principe) .Chacun met son corps à l’épreuve de l’autre sans lui en faire le reproche : les hématomes se succèdent comme les marques d’un symptôme qui demande à être verbalisé.

Contrairement à un Larry Clark qui a tendance à écarter volontairement la figure de l’adulte dans ses films, André Téchiné a toujours aimé mettre en scène les relations entre les parents et les enfants. Catherine Deneuve a ainsi souvent incarné le personnage d’une mère : du Lieu du crime à L’homme qu’on aimait trop en passant par La fille du RER. C’est à Sandrine Kiberlain que le cinéaste confit cette fois-ci ce rôle d’importance : elle est un pivot pris entre deux conflits. Celui de son fils avec Tom mais également celui, à distance, que vit son mari militaire sur un terrain étranger. A la guerre d’Algérie des Roseaux sauvages répond une guerre d’aujourd’hui. Au détour de révisons pour le cours de philosophie, les deux adolescents évoquent les notions classiques du désir et du besoin qui, par ricochet, concernent tout autant la mère de Damien. Ces corps juvéniles qui se provoquent font écho à un corps absent : celle du mari qui s’incarne par écrans d’ordinateurs interposés. Les protagonistes, à travers leur génération respective, entretiennent ainsi un rapport avec le manque et donc la souffrance. Quand on a 17 ans est aussi un film d’acteurs comme sait les faire André Téchiné : Sandrine Kiberlain, lumineuse, se voit offrir un rôle généreux et entre dans la galerie des grandes actrices ayant tournées pour le réalisateur (Deneuve, Bouquet, Binoche, Béart…). Le fondamental casting des adolescents aboutit à l’alchimie entre Kacey Mottet-Klein, qui a déjà plusieurs films à son actif, et Corentin Fila, dont c’est le premier long-métrage : le choix de deux physiques différents (le premier est blanc, fluet et pas très grand ; le second est métis, élancé et affuté) fait partie du jeu des oppositions qu’instaure le film pour mieux les dépasser. Les vers délicats du poème de Rimbaud soufflent sur ce film de Téchiné qui fait d’une bataille une conquête du bonheur.

Publié sur Le Plus de L'Obs.com

30/03/2016

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