Réalisé par Jodie Foster ; écrit par Jim Kouf, Alan DiFiore et Jamie Linden
... Ne zappez pas !
C’est la seconde fois que le
festival de Cannes accueille Jodie Foster en tant que réalisatrice après lui
avoir permis de monter les célèbres marches à ses débuts d’actrices grâce à ce
qui deviendra un film mythique : le Taxi
Driver de Scorsese en 1976. Si on connaît bien l’américaine francophone
pour ses nombreux rôles, le public ne l’a vraiment découverte réalisatrice que
récemment avec Le complexe du castor
où elle dirigeait et donnait la réplique à Mel Gibson. Comme Money Monster, le film avait également
été présenté hors compétition à Cannes en 2011 et avait permis de faire
découvrir cette autre facette d’une femme décidément talentueuse. Jodie Foster n’en
était pourtant pas à sa première réalisation : elle est passée derrière la
caméra dès 1991 avec Le petit homme,
un drame sensible sur un enfant surdoué puis avec Week-end en famille où elle poursuivait son exploration des
relations mouvementées au cœur de la cellule familiale. Si ses histoires
précédentes avaient pour cadre la maisonnée, c’est dans un studio que vont
s’agiter désormais les membres d’une famille d’un autre type: celle d’une
émission de télé. En effet, aux pères, mères et autres enfants se substituent
présentateur, réalisatrice et techniciens autour desquels un événement
inattendu va transformer une émission boursière diffusée en direct en un
tragique mais révélateur moment de
télévision. Lee Gates est le présentateur vedette de « Money Monster » : un show qui
traite des fluctuations du Dow Jones sous la forme d’une émission de variété.
Excentricités et jingles tape-à-l’œil sont de mise pour le survolté Lee qui
donne aux informations financières des allures de fête foraine ! Patty, sa
réalisatrice, s’est résolue à la désinvolture de son camarade et orchestre du
mieux qu’elle peut les libertés qu’il prend. Mais ce jour-là, ce barnum va
cesser de faire rire quand un citoyen lésé prend en otage le présentateur
devant des millions de téléspectateurs rivés à leurs écrans… Jodie Foster livre
un thriller monétaire à fleur de caméra au suspense énergique qui questionne le
rôle des médias comme des puissants.
A l’heure où la télévision voit
son audience décliner, tous les moyens sont bons pour faire exister une
émission et attirer les foules. C’est ce qu’a réussi à faire Lee (un George
Clooney convaincu et convainquant) en faisant de la bourse de
l’info-spectacle : il se déguise et se trémousse aussi rapidement que
chutent ou augmentent les valeurs des capitaux. Jodie Foster plante le décor et
donne le ton via un montage saccadé et une effervescence créée par le balai des
personnages autour d’un plateau clinquant où la couleur verte du dollar
américain domine dans le logo même de l’émission. Ce mélange des genres (la
bourse, présente en permanence via le bandeau déroulant) et les happenings (Lee
qui mime un combat de boxe) sera d’ailleurs source de confusion :
l’irruption sur le plateau du preneur d’otage est d’abord perçue comme une blague.
Tel est pris qui croyait prendre. A force d’avoir exposé ses conseils
financiers dans des vitrines criardes (voir les couleurs acidulées de
l’habillage vidéo), l’émission a fait oublier qu’il s’agissait d’argent et de
placements qui avaient leur part de risque. Kyle, le citoyen armé, représente
le spectateur aveuglé par la lumière d’une émission dont le présentateur est
devenu prescripteur. Ruiné suite à la chute spectaculaire des actions d’une
société pour laquelle Lee avait encouragé son audience à investir, Kyle impose
sa prise de parole en empruntant les mêmes canaux que ceux qui l’ont conduit à
sa perte : les médias. De la même façon, Gérard Lanvin se retournait
contre l’animateur d’une chasse à l’homme télévisée dans le précurseur Le prix du danger (Boisset, 1982) et
Jean Yanne s’offrait une diffusion en eurovision pour exprimer sa rancœur à la
société en prenant en otage le public d’une émission dans Armaguedon (1977), un film oublié d’Alain Jessua. En exigeant le direct, Kyle s’assure d’une
audience record dont le but, contrairement aux chaînes, n’est pas le profit,
mais la possibilité de faire passer son discours en mettant l’émission face à
ses propres affirmations. Jodie Foster utilise évidemment la mise en abyme que
lui permet son dispositif pour acculer le présentateur. La séquence où il est
face à la vérité de ses propres images rediffusées est éloquente.
Money Monster exploite à bon escient les ressources audio-visuelles
du studio de télé : si l’émission a viré au drame, elle n’en demeure pas
moins diffusée en direct et Patty (en forme, Julia Roberts retrouve enfin un
rôle consistant après des années de fadeur) reprend vite ses instincts de
réalisatrice. Telle Eva Mendes dans le très grinçant Live ! , qui pointait les dérives d’une industrie télévisuelle
toujours avide de sensationnalisme, Patty met en scène la prise d’otage en
professionnelle qu’elle est, faisant même déplacer un caméraman pour avoir un
meilleur angle de vue ! Elle se montre néanmoins beaucoup plus humaine et
tente de guider Lee à travers son oreillette, lui fournissant des informations pour
débloquer la situation et faire d’un show une émission journalistique sur le
tard. Car au-delà de l’inversion des rôles entre un présentateur devenu
auditeur et un preneur d’otage propulsé orateur, c’est toute l’émission qui
effectue sa mue lors de cet événement. Les gimmicks vidéo humoristiques laissent
la place à des duplex incisifs et à une enquête sur le terrain : la
rédaction se fait investigatrice quand elle comprend que la perte spectaculaire
de la valeur des actions de la société en cause cache quelque chose d’anormal…
La prise d’otage se double ainsi d’une course contre la montre haletante qui
tient les téléspectateurs de l’émission comme les spectateurs du film en
alerte. Démultipliant les sources de diffusion, Jodie Foster réalise un film
accrocheur en prise avec son époque qui souligne la puissance d’images
communicatives comme leurs limites (l’échec de l’appel de Lee à un achat massif
d’actions). « Dans notre culture, il
faut passer à la télé pour compter » entendait-on dans Live ! : Kyle, lui, veut moins
exister que prouver une injustice dans un monde financier pour qui un citoyen
n’est qu’une promesse monétaire, mais en devenant à ses dépens cette attraction
télévisuelle qu’il a tenté d’enrayer.
Publié sur Le Plus de L'Obs.com
19/05/2016
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