vendredi 20 mai 2016

► MONEY MONSTER (Cannes 2016)

Réalisé par Jodie Foster ; écrit par Jim Kouf, Alan DiFiore et Jamie Linden


... Ne zappez pas !


C’est la seconde fois que le festival de Cannes accueille Jodie Foster en tant que réalisatrice après lui avoir permis de monter les célèbres marches à ses débuts d’actrices grâce à ce qui deviendra un film mythique : le Taxi Driver de Scorsese en 1976. Si on connaît bien l’américaine francophone pour ses nombreux rôles, le public ne l’a vraiment découverte réalisatrice que récemment avec Le complexe du castor où elle dirigeait et donnait la réplique à Mel Gibson. Comme Money Monster, le film avait également été présenté hors compétition à Cannes en 2011 et avait permis de faire découvrir cette autre facette d’une femme décidément talentueuse. Jodie Foster n’en était pourtant pas à sa première réalisation : elle est passée derrière la caméra dès 1991 avec Le petit homme, un drame sensible sur un enfant surdoué puis avec Week-end en famille où elle poursuivait son exploration des relations mouvementées au cœur de la cellule familiale. Si ses histoires précédentes avaient pour cadre la maisonnée, c’est dans un studio que vont s’agiter désormais les membres d’une famille d’un autre type: celle d’une émission de télé. En effet, aux pères, mères et autres enfants se substituent présentateur, réalisatrice et techniciens autour desquels un événement inattendu va transformer une émission boursière diffusée en direct en un tragique mais révélateur  moment de télévision. Lee Gates est le présentateur vedette de « Money Monster » : un show qui traite des fluctuations du Dow Jones sous la forme d’une émission de variété. Excentricités et jingles tape-à-l’œil sont de mise pour le survolté Lee qui donne aux informations financières des allures de fête foraine ! Patty, sa réalisatrice, s’est résolue à la désinvolture de son camarade et orchestre du mieux qu’elle peut les libertés qu’il prend. Mais ce jour-là, ce barnum va cesser de faire rire quand un citoyen lésé prend en otage le présentateur devant des millions de téléspectateurs rivés à leurs écrans… Jodie Foster livre un thriller monétaire à fleur de caméra au suspense énergique qui questionne le rôle des médias comme des puissants.

A l’heure où la télévision voit son audience décliner, tous les moyens sont bons pour faire exister une émission et attirer les foules. C’est ce qu’a réussi à faire Lee (un George Clooney convaincu et convainquant) en faisant de la bourse de l’info-spectacle : il se déguise et se trémousse aussi rapidement que chutent ou augmentent les valeurs des capitaux. Jodie Foster plante le décor et donne le ton via un montage saccadé et une effervescence créée par le balai des personnages autour d’un plateau clinquant où la couleur verte du dollar américain domine dans le logo même de l’émission. Ce mélange des genres (la bourse, présente en permanence via le bandeau déroulant) et les happenings (Lee qui mime un combat de boxe) sera d’ailleurs source de confusion : l’irruption sur le plateau du preneur d’otage est d’abord perçue comme une blague. Tel est pris qui croyait prendre. A force d’avoir exposé ses conseils financiers dans des vitrines criardes (voir les couleurs acidulées de l’habillage vidéo), l’émission a fait oublier qu’il s’agissait d’argent et de placements qui avaient leur part de risque. Kyle, le citoyen armé, représente le spectateur aveuglé par la lumière d’une émission dont le présentateur est devenu prescripteur. Ruiné suite à la chute spectaculaire des actions d’une société pour laquelle Lee avait encouragé son audience à investir, Kyle impose sa prise de parole en empruntant les mêmes canaux que ceux qui l’ont conduit à sa perte : les médias. De la même façon, Gérard Lanvin se retournait contre l’animateur d’une chasse à l’homme télévisée dans le précurseur Le prix du danger (Boisset, 1982) et Jean Yanne s’offrait une diffusion en eurovision pour exprimer sa rancœur à la société en prenant en otage le public d’une émission dans Armaguedon (1977), un film oublié d’Alain Jessua.  En exigeant le direct, Kyle s’assure d’une audience record dont le but, contrairement aux chaînes, n’est pas le profit, mais la possibilité de faire passer son discours en mettant l’émission face à ses propres affirmations. Jodie Foster utilise évidemment la mise en abyme que lui permet son dispositif pour acculer le présentateur. La séquence où il est face à la vérité de ses propres images rediffusées est éloquente.

Money Monster exploite à bon escient les ressources audio-visuelles du studio de télé : si l’émission a viré au drame, elle n’en demeure pas moins diffusée en direct et Patty (en forme, Julia Roberts retrouve enfin un rôle consistant après des années de fadeur) reprend vite ses instincts de réalisatrice. Telle Eva Mendes dans le très grinçant Live ! , qui pointait les dérives d’une industrie télévisuelle toujours avide de sensationnalisme, Patty met en scène la prise d’otage en professionnelle qu’elle est, faisant même déplacer un caméraman pour avoir un meilleur angle de vue ! Elle se montre néanmoins beaucoup plus humaine et tente de guider Lee à travers son oreillette, lui fournissant des informations pour débloquer la situation et faire d’un show une émission journalistique sur le tard. Car au-delà de l’inversion des rôles entre un présentateur devenu auditeur et un preneur d’otage propulsé orateur, c’est toute l’émission qui effectue sa mue lors de cet événement. Les gimmicks vidéo humoristiques laissent la place à des duplex incisifs et à une enquête sur le terrain : la rédaction se fait investigatrice quand elle comprend que la perte spectaculaire de la valeur des actions de la société en cause cache quelque chose d’anormal… La prise d’otage se double ainsi d’une course contre la montre haletante qui tient les téléspectateurs de l’émission comme les spectateurs du film en alerte. Démultipliant les sources de diffusion, Jodie Foster réalise un film accrocheur en prise avec son époque qui souligne la puissance d’images communicatives comme leurs limites (l’échec de l’appel de Lee à un achat massif d’actions). « Dans notre culture, il faut passer à la télé pour compter » entendait-on dans Live ! : Kyle, lui, veut moins exister que prouver une injustice dans un monde financier pour qui un citoyen n’est qu’une promesse monétaire, mais en devenant à ses dépens cette attraction télévisuelle qu’il a tenté d’enrayer.

Publié sur Le Plus de L'Obs.com

19/05/2016

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