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Son nom n’est pas facile à
retenir mais ses films devraient finir par l’imposer : Kleber Mendonça
Filho est un réalisateur brésilien qui a vu son deuxième film sélectionné cette
année à Cannes, et en compétition officielle de surcroît. Aquarius trouve logiquement sa place sur la croisette après
l’important succès critique de sa première œuvre : le très remarqué Les bruits de Recife (2012). Finalement
peu connu en France, le cinéma brésilien contemporain a néanmoins réussi à
laisser chez nous des traces importantes avec des films comme La cité de Dieu (2002) qui a marqué
profondément les spectateurs ou encore l‘inoubliable Central do Brasil (1998) qui nous fit découvrir le réalisateur
Walter Salles. Ce dernier reste certainement l’un des plus connus réalisateur
d’Amérique du Sud : son Carnets de
voyage, sur la jeunesse du Che, a eu un succès mondial. Quant à José
Padilha, son nom résonnera d’avantage chez les amateurs de films d’actions
puisqu’on lui doit le diptyque Troupe
d’élite et plus récemment la fameuse série Narcos, sur Pablo Escobar, qu’il produit. Kleber Mendonça Filho
prend donc sa place aux côtés de la réussite de ses compatriotes avec un style
et une approche qui caractérise son attrait pour les habitants de son pays. En
effet, Aquarius comme son premier
film, se déroule dans sa ville natale de Recife, ville côtière à l’est du
Brésil, si Les bruits de Recife
mettait en scène différents protagonistes vivants tous dans un même quartier,
ce nouveau film se construit autour d’un personnage principal et de son
domicile. Clara est une femme d’âge mûr qui attire toujours le regard des
hommes, veuve depuis des années, elle profite de la douceur de vivre et de
bains matinaux dans l’océan à portée de fenêtre. Mais cette mélomane est sur le
point de perdre ce qui rend son quotidien si doux : dernière propriétaire
de sa résidence, elle doit faire face à la pression de promoteurs qui n’ont que
faire de l’attache émotionnelle que porte Clara à son habitat… Le cinéaste
brésilien fait preuve d’une grande affection pour Clara dont il dresse un
portrait à la fois tendre et nostalgique dans un film mélodieux qui fait de la
dignité d’une femme la résistance d’une vie.
Les photos en noir et blanc qui
ouvrent le film invitent d’emblée le spectateur dans un temps passé et
inscrivent l’histoire dans l’idée d’un héritage de valeurs humaines comme
topographiques : cette plage, qui sera l’horizon constant de Clara,
traverse les époques comme la vie de cette femme touchante. L’importance de la
lignée et du souvenir trouve sa place dès le préambule d’une fête
d’anniversaire où déjà chacun se remémore tout en faisant la passerelle vers
l’avenir : la vielle tante repense à sa jeunesse tandis que ses jeunes
descendants font un discours. C’est très finement que le réalisateur pense
l’ellipse qui suit : d’une façon simple et gracieuse, il passe d’une
époque à l’autre en instituant l’idée que la transmission des lieux et des
choses s’accompagnent de leur mémoire propre (la commode en deviendra l’objet
symbole). Cela sera développé par Clara elle-même lors de la scène de
l’interview où elle tente d’expliquer comment un vinyle ancien qu’elle possède
a du vécu, raconte une histoire unique, palpable, a contrario d’un morceau de
musique dématérialisé. Il faut dire que cette ancienne spécialiste musicale a
une imposante collection de vinyles qui n’ont pas le temps de prendre la
poussière tant elle les fait tourner sur sa platine. Clara profite de
l’existence entouré des vestiges stimulants d’un passé désormais en danger, ce
que Kleber Mendonça Filho restitue avec une vraie idée de mise en scène. En
effet, lors de la visite des promoteurs, un ample mouvement de caméra
accompagne leur trajet sans quitter l’appartement de Clara, mettant ainsi en
tension la menace extérieure et la paix intérieure (Clara assoupie sur son
hamac). Si cela paraît d’abord insolite, on remarque également rapidement la
récurrence de plans sur les pieds des protagonistes : rien de fétichiste,
mais la volonté de montrer des gens en prise avec leur milieu, en contact avec
un sol qu’ils foulent et qu’ils s’approprient dans ce qui est leur quotidien.
En opposition avec les promoteurs qui souillent cette terre qu’ils veulent
s’approprier (voir la scène filmée au ras du seuil de la porte où Clara
repousse, à plusieurs reprises, la brochure intrusive).
C’est dans une guerre d’usure que
se trouve empêtrée la combattive Clara : les rapports à fleurets mouchetés
avec les entrepreneurs se transforment en une relation à couteaux tirés où ces
derniers essayent de polluer la vie de la récalcitrante propriétaire avec
de multiples nuisances. Mais la tempérée et vivace femme aux cheveux d’un noir profond,
qu’elle noue et dénoue en un séduisant rituel féminin (et qui seront d’ailleurs
le titre d’une des trois parties du film), n’est pas abattue pour autant, voire
même se laisse griser par l’orgie qui se déroule au-dessus de chez elle dans un
ironique et amusant pied-de-nez à ses oppresseurs. Le cinéaste a fait appel à
l’iconique actrice brésilienne Sonia Braga (qui jouait dans le troublant Le baiser de la femme araignée en 1985,
autre film brésilien ayant marqué les esprits) pour le rôle de Clara qui lui va
comme une évidence. Elle porte avec flegme et séduction un personnage émouvant
qui n’aspire qu’au bien-être, elle qui est une survivante refuse le capital
pour se délecter du sentimental. La galerie de personnages qui l’entourent (ses
amies, ses enfants, sa fidèle aide-ménagère) participent à la diffusion d’une
bienheureuse chaleur humaine qui se voit autant qu’elle s’écoute. Car Aquarius fait de sa bande-son
brésilienne (Heitor Villa-Lobos en tête) la musique d’une résilience :
celle d’une femme riche de ses expériences et qui veut continuer à choisir son
existence. Kleber Mendonça Filho signe un film duveteux qui fait du portrait
d’une femme un acte militant.
Publié sur L'Obs.com
28/09/2016
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