mercredi 30 novembre 2016

► LE CLIENT (Cannes 2016, prix du scénario et d'interprétation masculine)

Écrit et réalisé par Asghar Farhadi


... Panser l'offense
 

Son second passage à Cannes lui aura été profitable : après y avoir obtenu le prix du jury œcuménique en 2013 pour Le passé, ce sont les prix du scénario et d’interprétation masculine qui distinguent Le client, le dernier film en date de l’iranien Asghar Farhadi. En un peu plus de 10 ans, le cinéaste s’est imposé unanimement sur la scène internationale : ses films ont rencontré un écho et un succès grandissant. C’est en 2011 avec Une séparation qu’il devient incontournable : ce film essentiel glane des récompenses prestigieuses dans de nombreux pays dont un Oscar, un César ou encore un Ours d’or. Le réalisateur séduit par sa capacité à aborder des questions de société et à parler du couple dans un pays connu pour ses mœurs rigides où le pouvoir exerce un contrôle invasif (son compatriote cinéaste Jafar Panahi en sait quelque chose). Après avoir pour la première fois tourné hors de ses frontières en 2013 pour Le passé (avec Bérénice Béjo), Asghar Farhadi retrouve son pays pour Le client qui met à nouveau à l’épreuve un couple. Cet intérêt pour la question maritale était présent dès son premier film, Danse avec la poussière, et le réalisateur n’aura alors de cesse de travailler cette relation. Il l’a met souvent en scène dans un moment de crise : la femme soupçonne un adultère dans La fête du feu tandis que les protagonistes d’Une séparation sont en plein divorce. Le client est dans cette continuité : Emad, le mari, et Rana, sa femme, doivent quitter précipitamment leur immeuble qui menace de s’effondrer. Ils sont contraints d’accepter d’être relogé dans l’appartement vacant d’un ami qui a cependant une particularité : une pièce renferme les affaires de la locataire précédente qui n’est pas en mesure de les récupérer tout de suite. Le couple, par ailleurs comédiens de théâtre, s’en accommode, mais un soir, Rana, qui est seule à l’appartement, se fait agresser par un inconnu qui prend la fuite. L’assaillant a laissé malgré lui des indices qui vont permettre à Emad de mener sa propre enquête pour réparer cette offense mais cette décision pourrait bien mettre leur union en péril… C’est avec toute la finesse qu’on lui connaît qu’Asghar Farhadi dresse le portrait d’une existence qui vacille, celle d’un homme aimant qui se laisse gangréner par la vengeance. 

Si le film a reçu le prix du scénario, c’est qu’Asghar Farhadi (qui a toujours écrit ses propres histoires) organise de façon pertinente et métaphorique toute son intrigue autour de trois lieux principaux qui sont autant de points de basculements. Il y a tout d’abord l’appartement inaugural du couple dont l’instabilité annonce les remous à venir : les fissures externes sur les murs préfigurent les fissures internes à leur relation. Une menace plane, littéralement, sur ce qui était leur quotidien. La scène du théâtre où les deux comédiens jouent Mort d’un commis voyageur (1949), la célèbre pièce du dramaturge américain Arthur Miller, est un endroit qui apparaît en parallèle de ce que vivent Rana et Emad. La réalité de leur drame resurgit sur ce qui se déroule sur scène. Emad s’en prend ainsi verbalement à son partenaire de jeu en pleine représentation, à travers une réplique personnelle. Il lui reproche de lui avoir caché qui était vraiment l’habitante précédente. Enfin, il y a le 3 pièces temporaire où s’est passée l’agression et qui recèle un passé qui n’est pas le leur et qui brise leur avenir. Le cinéaste imbrique donc ses espaces dans un récit intelligent qui leur confère un statut déterminant. L’appartement loué par leur ami est ainsi exemplaire dans la façon dont il donne à voir… ce qui n’est pas là. En effet, la locataire précédente est une arlésienne qui n’existe que par les affaires qu’elle a laissées et qui permettent d’entrevoir sa vie. C’est tout le paradoxe qui énerve le couple : elle n’est plus ici et pourtant tout rappel sa présence, et bien plus encore, comme le mari et la femme vont le découvrir. L’importance de la topographie, qui pointe le chez soi, l’intime du foyer, s’exprime d’ailleurs dès le générique qui met en lumière les décors de la pièce de théâtre. Comme le personnage qu’il interprète, Emad est envahi par une rancœur qui le mine et ce sentiment va peu à peu détériorer ses relations avec les autres.

Car la journée, il est un professeur jovial de littérature dans une classe exclusivement composée de garçons (l’école n’étant pas mixte dans le secondaire en Iran) qui l’apprécient. Mais l’agression de sa femme provoque un changement de comportement et Emad devient irritable : le contraste est saisissant entre la scène où il plaisante avec ses élèves et celle où il s’en prend à eux. De la même façon, comme cela était le cas avec A propos d’Elly, Asghar Farhadi sait parfaitement en un instant changer la tonalité d’une scène, passer du bonheur au malaise à l’instar de la séquence du repas entre Emad et Rana (Taraneh Allidousti) où une révélation interrompt brutalement ce qui était un moment convivial. Prix d’interprétation masculine à Cannes, Shahab Hosseini, l’acteur récurent du cinéaste, livre une interprétation impeccable et toute en nuance d’un homme qui cède à ses instincts. « Comment peut-on réellement se transformer en bête ? » le questionne un de ses élèves à propos de l’étude d’une nouvelle. « C’est possible, progressivement » lui répond Emad, sans se douter qu’il va expérimenter lui-même ce côté bestial. Film très riche et captivant sur l’honneur et la déchéance, Le client est un drame enlevé qui passe d’une scène de théâtre au théâtre de la vie avec l’élan d’une tragédie. 

09/11/2016      

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