Réalisé par Katell
Quillévéré ; écrit par Katell
Quillévéré et Gilles Taurand, d'après l’œuvre de Maylis De Kerangal
... La chaîne humaine
Hasard ou non, le calendrier a
parfois des échos singuliers : sorti le jour de la Toussaint, le troisième film
de la française Katell Quillévéré traite précisément du deuil, de la mort, mais
surtout de la vie, qui, elle, ne s’arrête pas, continue dans un ballet humain
régénérant. Avec Réparer les vivants,
la cinéaste poursuit un numéro d’équilibriste gracile entamé avec Un poison violent, qui lui avait valu le
prix Jean Vigo, de quoi bien entamer une carrière qu’on devinait déjà
prometteuse. Car la réalisatrice aime filmer l’entre-deux, le passage d’un état
à un autre, elle fait de ses films des traversées pudiques d’existences, avec
ses choix, ses erreurs et ses espoirs. Anna, l’adolescente de son premier film,
se voyait changer en l’espace d’un été tandis que la Suzanne de son deuxième film éponyme, éprise de liberté, naviguait
entre eaux calmes et agités, à la merci de la bascule. La jeunesse est encore
le point de départ de Réparer les vivants
et le personnage en état transitoire s’appelle Simon : ce passionné de
surf dompte les vagues avec toute la fougue de son âge. C’est de la route que
viendra le danger : fatigués par leurs exploits, Simon et ses amis
rentrent chez eux mais n’y arriveront jamais. L’accident qu’ils ont laisse le
jeune surfeur en état de mort cérébrale : les parents désemparés doivent
alors prendre une décision capitale et difficile, accepter ou non le don
d’organes. Car ailleurs en France, une femme, malade du cœur, meurt à petit
feu, à moins qu’un donneur puisse être trouvé…Deux endroits, deux familles,
deux destins : Katell Quillévéré trouve dans le livre à l’origine du film
les éléments qui animent son cinéma. Écrit par Maylis de Kerangal, l’ouvrage a
reçu de nombreux prix et a surtout conquis un public de lecteurs, émus par un
sujet encore tabou dans la société malgré les efforts qui ont été faits. Le
film aborde de façon documentée et avec beaucoup de tact cette douloureuse
question, en se focalisant moins sur les parents de Simon que sur la chaîne
humaine qui s’anime dès la décision prise. Tous les personnages sont des
maillons, qui, sans nécessairement se connaitre, sont animés par une même
impulsion : la transmission de nôtre bien le plus intime, le corps humain.
Un souffle. C’est par cette
démonstration douce et vitale que s’ouvre un film qui jamais ne sera dans
l’excès dramatique, préférant au contraire une certaine épure que la
réalisatrice, comme dans ses films précédents, maîtrise bien. On ne saura que peu
de choses de Simon (Gabin Verdet) mais les bribes mises en scène suffisent à
donner une consistance à ce corps suspendu à une décision parentale. Une seule
séquence permet ainsi d’instaurer la relation amoureuse entre le jeune homme et
Juliette : l’action (la montée en vélo en parallèle du téléphérique) se
substitue à la parole et l’image est d’autant plus porteuse de sens. Simon est
en mouvement et l’idée de la transition passe par une verticalité (il saute par
la fenêtre, monte sur sa planche de surf, chevauche son vélo) qui devient
horizontale (son corps inerte sur un lit d’hôpital). Il y a basculement vers la
mort pour les uns (parents éplorés) et émergence de vie pour les autres (les
médecins), sous une autre forme. C’est Tahar Rahim qui joue ce rôle de passeur,
chargé d’accompagner les parents de Simon dans l’idée d’un transfert d’organes.
Position délicate jouée avec beaucoup d’empathie par l’acteur. Emmanuelle Seigner
et Kool Shen (qui nous avait laissé un très bon souvenir dans Abus de faiblesse) sont ces parents en
proie à la douleur et la cinéaste filme leur souffrance avec la délicatesse qui
la caractérise. Là encore, elle choisit la pure expression visuelle pour
signifier le désarroi dans une séquence à la sobriété bienvenue (celle dans
l’atelier du père) où les gestes mécaniques de la vie permettent la survie. Car
l’absence de ces mouvements habituels pointe au contraire la défaillance. Tel
est le cas de Claire, à l’autre bout de la chaine, sur liste d’attente pour une
transplantation cardiaque et pour qui même monter un escalier devient un
supplice. Une autre histoire se donne à voir autour d’un même lien.
La musique participe d’ailleurs
de cette liaison à travers un morceau de piano à la fois léger et
reconnaissable qui revient ponctuellement, comme un trait d’union, sous la
houlette de l’incontournable Alexandre Desplat (récemment oscarisé pour la
bande-originale de The Grand Budapest
Hotel). C’est la lumineuse québécoise Anne Dorval et actrice fétiche de
Xavier Dolan qui interprète cette mère de deux garçons au bord de la mort. Le
film pivote pour mieux cerner son sujet : une autre existence, une équipe
médicale différente, un enjeu inversé (l’opération serait la fin effective de
Simon d’un côté alors qu’elle serait un renouveau concret pour Claire) mais une
volonté constante de faire des étapes du don d’organes une aventure humaine à
la fois émouvante et impressionnante. Car Réparer
les vivants n’édulcore en rien l’épreuve que peut représenter ce choix pour
des parents (une simple phrase prononcée par la mère de Simon : « Pas ses yeux » fige le spectateur)
ni l’acte chirurgical qui en est la finalité. Katell Quillévéré opte pour un
filmage frontal : à la vérité des sentiments répond la réalité de
l’opération avec toujours cette prévenance pour des personnages qui, à des
degrés divers, prennent part à la mission.
Les cinéastes français apprécient la démarche du film choral (Alain
Resnais, Cédric Klapisch ou encore Claude Lelouch l’ont bien montré) et le film,
qui en suit donc le principe, fait la part belle à une galerie de personnages
dévoués. De l’infirmière en quête d’amour au chargé du transfert en passant par
le coordinateur qui tient sa promesse, tous font preuve d’une urgence réconfortante
dans un film qui réussit l’osmose entre l’émotionnel et le clinique.
Publié sur Le Plus de L'Obs.com
01/11/2016
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire