mercredi 1 février 2017

► MOONLIGHT (Oscars 2017)

Écrit et réalisé par Barry Jenkins, d'après l'oeuvre de Tarell Alvin McCraney 


... La fidélité à l'instant


Inconnu chez nous, le réalisateur américain Barry Jenkins devrait gagner une notoriété méritée avec un second long-métrage nommé à 7 reprises aux Oscars dont deux nominations dans les prestigieuses catégories de Meilleur film et Meilleur réalisateur. Moonlight est l’adaptation d’une pièce du dramaturge Tarell Alvin McCraney et c’est à nouveau Barry Jenkins qui est son propre scénariste, comme il l’avait été pour son premier film : Medecine for melancholy (2008). L’histoire était celle d’un couple dont on suivait la relation pendant 24 heures dans un quartier en pleine mutation, installant ainsi déjà des thèmes qui huit ans plus tard se retrouveront dans Moonlight. Le réalisateur met en effet une seconde fois à l’honneur des personnages afro-américains dans des lieux ghettoïsés où la mixité n’existe pas, c’est Miami (ville natale du réalisateur comme de l’auteur) qui sert de décor à une histoire poignante sur le devenir de soi et de ses sentiments à travers trois âges de la vie : l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte. Chiron est un enfant sans père qui vit avec une mère souvent droguée, introverti, il est le souffre-douleur de camarades qui ont déjà vu en lui une différence dont il n’a même pas conscience. Sa rencontre avec Juan, un dealer en chef du quartier, va être la première étape d’une existence qu’il va tenter d’apprivoiser comme il pourra. On le retrouvera au moment de la bascule qu’est l’adolescence où il devra faire face à ce qu’il est avant que la maturité ne l’installe dans une vie plus subie que choisie : le temps alors du bilan et d’une confession, comme une délivrance… Barry Jenkins filme avec une douce intensité le récit intime d’un parcours, celui d’un enfant qui se construit contre et non pas avec les autres. Moonlight nous mène au fil du temps avec une rare sensibilité qui donne au personnage principal, comme aux secondaires, une juste attention qui fait du film une ode à la recherche de la tendresse perdue.

L’affiche du film (trois visages en un) parvient à synthétiser efficacement l’idée des trois moments de vie de l’histoire, signalés à l’écran par trois cartons qui désignent successivement et chronologiquement le personnage. Little, Chiron et Black : la première appellation est le surnom que lui donnent ses compagnons de classe, la seconde fait référence à son vrai prénom et correspond au moment où il affirme ses sentiments, la dernière renvoie à l’adulte qu’il est devenu et  au surnom que lui donnait son seul ami et l’objet de son affection, le déterminant Kévin (interprété par André Holland à l’âge adulte). C’est l’une des intéressantes idées du film, qui en compte de nombreuses : filer la métaphore de la quête identitaire à travers la façon dont se fait appeler le personnage, ce qui marque à chaque fois une évolution. « A un moment, il faut choisir qui tu es », tel est la préconisation de Juan (Mahershala Ali) qui a pris le jeune garçon sous son aile. Ce dernier, refugié dans une maison abandonnée pour fuir les persécutions des autres élèves, est découvert par cet homme imposant qui, littéralement, lui ouvre une fenêtre, sur l’extérieur mais surtout sur la vie. La belle séquence de la baignade dans la mer prend des airs de bain initiatique : ce père de substitution et sa compagne Teresa (Janelle Monáe) deviennent un point de repère pour ce gamin livré à lui-même. Ce second foyer où il trouve du réconfort n’est pas sans se retourner contre lui car sa mère (Naomie Harris), pourtant pas en état de s’occuper de lui, lui reproche vivement ces échappées. La mise en confiance du garçonnet se fait progressivement dans une bienveillance résumée par la façon dont Teresa décide de l’appeler : non pas Little mais bien Chiron, affirmant en cela sa volonté de prendre en compte celui qu’il est vraiment. Cette subtilité est celle du film qui, dans sa réalisation comme dans le traitement des protagonistes, fait preuve d’une retenue qui l’honore. Comme lorsque Chiron, adolescent, se fait une fois de plus maltraité par les mêmes (poids du quartier d’enfance) et qu’ils insultent Teresa : la colère monte et s’exprime, une fois les agresseurs partis, dans un bref mouvement, les poings serrés, qui révèle une détresse comme une rage latente.

Dans l’esprit du fameux Boyhood (2014), Moonlight est la chronique d’une existence qui permet de montrer l’évolution d’un personnage aux périodes clés de sa vie. Au défi du film de Richard Linklater (le même acteur filmé à différents âges), Barry Jenkins préfère permuter trois acteurs pour incarner un destin. Le casting était donc fondamental et il s’avère en osmose avec les traits de caractère du protagoniste. Alex Hibbert joue l’enfant mutique avec conviction tandis qu’Ashton Sanders est cet adolescent chétif qui ouvre son cœur à son ami. Enfin, Trevante Rhodes est l’adulte, métamorphosé en une copie de son père spirituel, Juan. L’enfant timide et l’ado maigrichon ont disparus derrière un corps travaillé à la fonte que la caméra du cinéaste ne manque pas de pointer. Car cette carrure inattendue, avec l’attirail qui va avec (chaine, gouttière en or pour les dents, attitude de macho), est évidemment révélatrice d’une carapace outrancière qui s’inscrit en réaction à un passé traumatique. Cette extériorisation d’une idée de la virilité (lui qui était traité de « tapette ») agit comme une rupture physique et mentale : c’est désormais lui qui donne les ordres, il ne subit plus ceux des autres. « Ne baisse pas les yeux » lui avait enseigné Teresa, ce qu’il mettra en pratique dans l’une des scènes les plus marquantes entre lui et Kévin où ce dernier devra faire un choix déchirant et violent qui changera le cours des choses. Comme dans Le Secret de Brokeback Mountain (2005), Barry Jenkins brise un tabou, aux cow-boys du film d’Ang Lee, succède la représentation d’un personnage noir homosexuel pourvu de la masculinité d’un chef de gang de dealers. L’imagerie collective prend un coup salutaire dans une dernière partie où la mise en scène excelle à faire minutieusement émerger un aveu viscéral et bouleversant.
01/02/17 

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