Réalisé par Martin Scorsese ; écrit par Martin Scorsese et Jay Cocks, d'après l’œuvre de Shusaku Endo
... La foi embrumée
Le cinéma est aussi une histoire de
patience : Martin Scorsese, figure emblématique du cinéma américain, avait
ce projet de film depuis fin 2006, il venait alors de terminer Les Infiltrés, son polar tragique. S’en
est suivi des films aux genres très différents : l’oppressant thriller Shutter Island, Hugo Cabret, son premier film fantastique et sa première
réalisation en 3D, puis Le loup de Wall Street,
un biopic sur toute la démesure d’un courtier en bourse. Avec Silence, c’est vers un tout autre
registre que se tourne le réalisateur palmé en 1976 pour Taxi Driver : celui de la religion dans un film personnel qui
touche à l’intime des convictions. On le sait, Scorsese est issu d’une famille sicilienne
très pieuse et cela a eu une influence certaine sur sa filmographie. Lui qui enfant
se destinait à la prêtrise avait, pour notre bonheur, finalement embrassé le vœu
cinématographique. C’est dans le fameux La
dernière tentation du Christ qu’il aborde frontalement la figure la plus
représentative de la chrétienté (comme il s’intéressera à celle du bouddhisme
dans Kundun), à sa façon, entrainant
un déchainement polémique qui causa de graves incidents. Les terribles évènements
de ces dernières années montrent que la religion reste un sujet crispant et
clivant dans la malheureuse continuité de l’Histoire des sociétés. Silence, adapté du roman éponyme de Shūsaku
Endō, auteur japonais majeur du XXe siècle (qui donna lieu à une
première adaptation filmée par Masahiro Shinoda en 1971), se passe en effet au
XVIIe siècle dans un contexte qui est celui de l’évangélisation du
Japon par des missionnaires jésuites portugais. Le film se déroule lors de la répression
violente et systématique que subir les convertis ainsi que les prêtres qui s’étaient
installés sur place. Les jeunes padre
Rodrigues et Garupe souhaitent partir à la recherche du père Ferreira dont ils
ont été les disciples car ce dernier est non seulement porté disparu mais est
également accusé d’avoir renié sa foi. Impensable pour les deux compères qui
lui vouent une grande admiration, ils convainquent leur hiérarchie de les
laisser partir à sa recherche pour rétablir la vérité… Avec ce film historique,
l’oscarisé Martin Scorsese réalise une fresque spirituelle sincère et éprouvante dans un voyage au bout de la foi
qui met en tension le choix, la volonté et la croyance dans l’accomplissement d’un
sacerdoce jusqu’au bout des os.
Profondément touché et
certainement marqué par l’histoire de ces missionnaires et de leurs fidèles martyres,
le réalisateur américain leur dédie un film qui est un témoignage en forme d’hommage :
« Aux chrétiens japonais et à leurs
prêtres ». Dans ce Japon féodale, la chasse aux catholiques s’avère particulièrement
cruelle, le pouvoir a son grand Inquisiteur, un vieil homme imperturbable,
chargé de faire apostasier ceux qui ont été convaincus par le message
catholique. Scorsese va jouer sur la répétition du rituel d’abjuration :
en public et pour l’exemple, les accusés sont contraints, tour à tour, à fouler
aux pieds une icône religieuse. S’ils refusent, ils sont alors convaincus de catholicisme
et soumis à une mort par torture. La réalisation a un principe : ne pas
éluder ces actes pour montrer le calvaire de la chair, celui-là même qui a
marqué le corps du Christ. Du pervers (des louches d’eau ardente) au monstrueusement
subtil (l’incision derrière l’oreille qui fait lentement s’écouler le sang) en
passant par l’atroce (le bûcher), ces supplices affreusement inventifs sont un
défi à la foi. C’est l’engagement contre le renoncement. Ce qu’exprime très
bien une scène parmi les plus marquantes : attaché à une croix menacée par
la marée montante, un fidèle résiste aux assauts des eaux (sur lesquels la réalisation
insiste) comme pour mieux encore affirmer sa croyance. Il garde même la force
de prier pour son compagnon d’infortune. Ces exécutions aussi spectaculaires qu’inhumaines
contrastent avec « la simple
formalité », comme l’appelle l’un des bourreaux, du pas en avant qui
consiste à renier sa conscience, son moi intime. Le fait de marcher sur l’icône
est même mis en scène dans une séquence étonnante de démonstration censée
expliquer comment il suffit de faire : à la terreur s’associe la
méthodologie.
Le film est frappant dans sa
façon de faire de cet acharnement le marqueur d’une résistance d’autant plus
forte : malgré les atrocités, les villageois font preuve d’une ferveur
clandestine incroyable. Il faut voir ces hommes venir chercher à même la mer le
padre Rodrigues comme le messie ou ce
dernier se dépouillant de son chapelet pour contenter ces chrétiens avides de symboles
de foi, ce qui montre à quel point il se donne tout entier à sa mission. L’une
des plus signifiantes scènes est aussi la plus simple : à la lumière
chaleureuse des bougies, dans le huis clos de leur foi, le père cède à un
fidèle sa croix dans le creux de la main. Tout est dit de sa mission dans cet acte de transmission.
C’est Andrew Garfield qui incarne ce père happé par une tâche qui va mettre sa
foi à l’épreuve. Il faut saluer le travail d’interprétation du jeune acteur qui
change clairement de dimension avec ce rôle exigeant qui laissera des traces.
Lui qui était surtout connu pour avoir joué dans le premier reboot de Spider-Man en 2012 compose ici avec
conviction un personnage déterminé qui passe par plusieurs états moraux et
physiques : la frustration (vivre reclus), l’effroi (devant les horreurs que
subissent ses fidèles) et surtout le doute face au silence de Dieu (ce qui
donne son titre au film mais pas forcément son sens, qui s’avère plus complexe).
Scorsese habille ses images d’une beauté brumeuse dont il fait un motif
récurrent, ce voile va et vient comme la métaphore d’un voyage spirituel aux
confins de soi-même, dans le vaporeux de l’âme qui nous constitue. Car à la résistance
s’ajoute les questions théologiques et la peur de la tentation et donc de la
perdition. Deux approches du monde s’opposent dans ce qui devient le duel d’une
vie entre la fidélité à des vœux et un machiavélisme forcené. Scorsese livre ainsi
un film intense qui revendique sa compassion et sa fascination pour ses prêtres
qui ont fait preuve d’une telle abnégation.
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